Formation et déploiement

des croyances et des convictions

(Réflexion sur la relation d’objet)

Gilbert Sescousse, Analyste (Girep)

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Les écrits sur les croyances et les convictions sont foison, mais peu traitent de leurs formations, de leurs déploiements, de la remontée aux sources des premières relations à l’objet, à la réalité.

Formation des croyances

Pour Pierre Janet, la formation de la croyance « primitive [1]  » prend appui sur le trio : action, langage, mémoire qui débouche sur l’espérance d’une action différée et par conséquent sur la croyance dans une action à venir.

L’intentionnalité d’une action, dit-il, les promesses, les serments, les engagements, ces intentionnalités, cette union entre la parole et l’acte a donné naissance à la volonté, aux croyances d’un évènement ou d’une action à venir [2] (comme une gratification à venir, le retour des absents ou des défunts). 

Rapidement dans l’histoire de l’homme s’enchaînent les croyances issues de la compréhension qu’il a de la précarité de sa vie.  Nous voyons qu’à chaque époque, il forme, élabore, déploie, des interprétations, des représentations de la réalité.


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Premières croyances

Pour tenter de percer les mystères du créé, ces premiers hommes construisent, au moyen de « l’outil imaginaire », des rêves éveillés, des scénarii comme d’hypothétiques interprétations de la réalité.

Même s’ils inspirent, aujourd’hui encore, bien des dessinateurs, peintres et sculpteurs, les dessins qui peuplent les cavernes expriment bien autre chose qu’un sens artistique ; c’est pourtant ce que l’on a  cru un instant.

Actuellement, des théories plus sérieuses exposent que ces fresques ont une signification rituelle magique tendant à faire venir le gibier ou à demander à l’esprit de l’animal l’autorisation de lui ôter la vie pour survivre. Cérémonial qui devait permettre aux « homo sapiens » [3] , nos ascendants directs, d’échapper à une éventuelle malédiction due à la colère de l’esprit du gibier qui devait lui survivre. Ils furent également les premiers à enterrer leurs morts probablement pour les protéger, ou pour se protéger d’eux.

Ces interprétations reposent sur les connaissances de l’animisme qui est l’une des premières tentatives de «représentation du monde » qui est aussi un stade de développement infantile. De cette relation à l’objet découle le postula d’une existence post mortem, que les choses créées pourrait traverser le temps et subsister éternellement. Pointe ici la croyance en l’âme. Elle est en relation avec les objets de la vie onirique.

Lorsque le mort apparaît dans les rêves, ces premiers hommes croient que c’est son âme, son autre moi, son double à la fois réel et trompeur qui entre en relation avec le dormeur, qui engendre l’émergence d’une autre croyance dans une vie ténébreuse invisible.

Plus près, tout comme l’écriture rupestre, l’écriture runique [4] des anciennes peuplades germaniques a gardé un caractère magique. La déchiffrer c’est interpréter l’obscur, le caché.

Comme c’est dans sa nature, l’homme cherche à comprendre, à interpréter. Les premières sociétés ont engendré des individus à la fois homme médecine, devins ou  médiums, pour expliciter et interpréter les faits énigmatiques, assurer la relation intermédiaire entre le vivant et le mort ; et bien sûr, examiner les rêves afin de veiller à la santé physique et psychique du groupe, des membres de la tribu, évacuer les peurs, les angoisses et les diverses sortes de pressions face aux réalités externes et internes, mais aussi afin de maintenir une cohésion et une unité individuelle, collective et environnementale.

Le siège de l’âme

L’une des croyances les plus primitives du siège de l’âme semble être le sang. Les hommes meurent et perdent leur âme lorsque le sang s’écoule. Les hommes qui sont apparentés par le même sang, le sont aussi par la même âme. On croit aussi que l’on peut provoquer cette parenté, en faisant un échange réciproque de son sang avec un autre, devenant ainsi frère de sang. Presque toutes les cultures attribuent au sang des pouvoirs magiques.

Dans sa paraphrénie [5] Hitler va  entretenir incessamment la confusion entre le réel et le symbolique, jusqu’à attribuer au sang symbolique une réalité biologique immédiate. Il lui donne le sens de race, de patrimoine héréditaire, et en fera un des fondements de son idéologie raciste.

Dans les religions, le sang occupe aussi une place importante. Chez les Aztèques le sang humain est offert au dieu soleil pour lui redonner la force qu’il a perdue pendant le jour. Dans le culte de Mithra et de Cybèle, on versait le sang des taureaux.

Dans les traditions bibliques on trouve encore la symbolique du sang. Dieu dit à Caen : « écoute le sang de ton frère crier vers moi du sol ». [6] Dans la « Kasherout », ensemble des règles et rituel Juif, on tue les animaux mais on n’en consomme pas le sang, on le recouvre, d’un geste symbolique, d’une poignée de terre, peut être pour ne pas qu’il crie comme le sang d’Abel ?

De même, lorsque Moïse descend du mont Sinaï avec la révélation de la loi, il bâtit un autel au pied de la montagne ; et, pour sceller l’alliance avec Dieu, il fait offrir en holocauste de jeunes taureaux en sacrifice de paix ; puis, il asperge de sang l’autel en disant : « Voici le sang de l’alliance que, sur la base de toutes ces paroles, le Seigneur a conclue avec vous [7]  ». Par la suite, les chrétiens verront dans ce passage biblique une préfiguration de l’offrande de Jésus, offrande de son corps et de son sang et non plus du sang d’animaux, offrande de lui-même, une fois pour toute, comme alliance ultime, offrande de sa vie comme voie de sublimation [8] .

Dans les cultures indogermaniques, l’âme pouvait également être perçue dans le « souffle ». Si aujourd’hui, la politesse nous dicte de mettre la main devant la bouche lorsque l’on baille, on croyait alors, que l’âme pouvait s’échapper par la bouche, par le souffle. On pouvait même l’apercevoir un instant, par temps froid sous la forme d’un petit nuage, d’une vapeur sortir de la bouche. « De même lorsqu’un enfant dormait la bouche ouverte il fallait la lui fermer sous peine de voir son âme sortir sous forme de souris blanche ». Il découla de cette image que « quiconque rêve d’une souris blanche allait mourir. Si une souris blanche se montrait dans une maison c’était pour annoncer un décès ». [9]

« La conception de l’âme comme lumière est plus récente. On disait souffler l’âme de quelqu’un. Nous avons encore l’habitude, au moment de l’anniversaire des enfants, de mettre sur un gâteau autant de bougies qu’ils comptent d’années. Le conte « la Commère la Mort » parle d’une caverne souterraine où brûlent des milliers de lumières en rangées infinies. Ce sont les âmes dont certaines  ont encore de grands cierges, d’autres des flammèches brûlant à peine sur leurs bases ; quand même une bougie serait grande, elle peut chuter ou être renversée et s’éteindre ». [10]

Dans les pays nordiques on faisait croire aux enfants que ce sont les cigognes ou les cygnes qui apportent les bébés dans les familles. « Cigogne s’appelait en vieux haut allemand, « odebar »  et le mot s’interprète  au sens de celui qui apporte l’âme et aussi celui qui apporte le bonheur ». [11]

On voit, aujourd’hui encore, nombre de faire-part de naissances et de maternité arborer cet emblème. Cela n’est pas sans rappeler les théories infantiles de la conception par la graine, des enfants qui naissent des végétaux, les garçons des choux et les filles des roses. « Peut-on imaginer en deçà de l’anal, voire en deçà de l’oral, un niveau plus ancien, disons, végétatif, germinatif [12]  ?». Sans oublier le fantasme d’éphébogénèse et de parthénogenèse. « Freud y fait allusion lorsqu’il raconte que sa nounou lui avait dit que sa sœur était l’enfant de sa mère, mais lui, celui de son père [13] ».

Le siège de l’âme est tantôt imaginé dans le sang, le souffle, la vapeur, la brume, l’ombre, le feu, la lumière, mais aussi sous forme animale, oiseaux et serpent, par exemple, parce qu’ils glissent et appartiennent au monde souterrain.

En filigrane de toutes mythologies, philosophies et religions, se trouvent des multitudes de réponses à la gestion de l’angoisse existentielle. Ainsi se déploie l’histoire des idées et de la pensée.

La croyance et  la conviction

Nous avons vu que la formation « primitive » de la croyance [14] , selon Janet, prend appui sur le trio : action, langage, mémoire qui débouche sur l’espérance d’une action différée et par conséquent sur la croyance dans une action à venir.

Mais c’est avec l’avènement du christianisme que la croyance devient foi, elle-même issue de l’expérience intérieure de la transcendance jusque là inconnue des Grecs et des Romains. La foi impliquerait une renonciation à la connaissance, ce serait une certitude d'indémontrabilité [15] car elle est en rapport avec la confiance [16] .

Nous savons qu’il n’est fut pas ainsi puisque ce sont les théologiens qui ont mis la philosophie au service de la foi, car elle avait besoin de l’intelligence [17] . Ce n’est pas l’empereur byzantin Manuel II [18] qui aurait dit le contraire puisqu’il préconisait, pour conduire quelqu’un à la foi, le « bien parler » et « raisonner », à la place de la déraisonnable violence. Il avait sagement saisi que la « capacité à croire » était aussi en rapport avec la persuasion de l’orateur, donc en corrélation avec la rhétorique [19] . Nous savons, aussi, qu’Aristote modèrera la disgrâce de Platon pour les sophistes.

La conviction, elle, est un sentiment d’adhésion ferme, une certitude de l’existence d’une démonstration reproductible dans le ou les principes auxquels on croit [20] . La conviction est en rapport avec un savoir, ce qui est appris, ce qui est su. Convaincre : c’est faire connaître la vérité d’une proposition, d’une théorie, d’un savoir. Elle est liée à une science. C’est elle qui organise les sociétés.

Ici, il me semble urgent de le souligner, il n’est nullement dans mon intention de rouvrir de vieux débats, et encore moins celui sur la double vérité [21] (vérité absolue pour la foi avec l’ordre du surnaturel, et vérité relative pour la raison avec la sphère de la raison) tant une telle contradiction semble difficilement acceptable…

Ce qui est sûr, et c’est ce que je veux souligner ici, c’est que l’ambivalence entre croyances et convictions se fait souvent sentir, et que la frontière qui les sépare est souvent allègrement franchie.

Ici, on est déjà loin de «l’homo sapiens » cité en début d’article, mais on est toujours dans la gestion de l’angoisse, celle des obscures cavernes de l’inconscient freudien.

Point de vue Psychanalytique dans la formation des croyances

Avec la psychanalyse s’opère un retournement radical, une « conversion », dans le sens étymologique du terme. Il ne s’agit plus d’énumérer, des croyances comme des objets externes en aval, tel un étalage de boutique, mais de remonter aux sources, aux mécanismes psychiques en jeu dans les relations à l’objet interne/externe, introjecté/projeté, voir plus en amont encore.

Nous savons que les premiers objets d’expérience de la réalité sont les objets partiels maternels (je pense aussi au placenta et au cordon ombilical [22] avec lesquels joue le fœtus). A partir de ce stade fusionnel le nourrisson n’aura de cesse de se différencier des objets par l’expérience de la frustration qui renforcera la perception de l’objet comme séparé de soi.

Nous sommes, ici déjà, en deçà de l’hypothèse de Janet, au commencement de la formation de la croyance, et de ses premières représentations. C’est ici le soubassement de la croyance magique que nous venons de développer ; le nourrisson crie et s’aperçoit que ce « quelque chose » survient, que ses besoins peuvent être comblés par ce « quelque chose » d’abord, qui deviendra, par la suite, quelqu’un.

Mais, ne nous est-il pas possible de remonter plus haut encore pour tenter de trouver le début de la relation à l’objet [23]  ? Ne serait-il pas une erreur de dire que le fœtus, avant de voir et d’entendre l’environnement externe, ne voit qu’un écran sombre ou quelques couleurs, ou n’entend que des sons qu’il perçoit comme n’étant que lui ?

Du coté de la vision, son œil voit en amont, avant de voir en mode natal. Il voit à partir du dedans. C’est une vue en mode antérieur. Il n’y a rien à voir mais ce qu’il voit est réellement. C’est la « réalité de vision » différente de la « réalité de choses ». C’est « un nouvel objet ». C’est la vision intérieure qui n’appartient pas à un ordre coutumier de réalité. C’est un objet par assimilation, que l’on peut voir par la sensibilité visuelle en amont, pas tourné vers le dehors mais qui reste ouvert en arrière de lui. Ce « nouvel objet » est l’émanation intangible et invisible du monde intérieur. L’œil humain, naturellement branché sur ce monde, voit au-dedans. C’est l’organe de la vision de la totalité, du réel, et à ce titre la fonction de l’invisible. Certes, nous ne pouvons rien en dire mais nous pouvons l’imaginer [24] . De même, nous ne pouvons rien dire de l’inconscient, mais nous pouvons le décoder au détour d’un lapsus, d’un acte manqué, d’un mot d’esprit, d’un rêve nocturne [25] ou lors de rêves éveillés.

On pourrait faire un parallèle entre le domaine de la sensibilité visuelle et celui de la sensibilité auditive. Le fœtus, avant d’entendre les sons externes (et internes maternels, qui sont nombreux et relativement bruyants), entend en amont. Ce qu’il entend est un « son inversé », c'est-à-dire «  un » silence  d’une nouvelle espèce perçu comme une matérialité de la vacuité, émanation de la totalité. Le foetus n’entend rien mais « ce » silence, ce « son inversé » est aussi ce « nouvel objet » ouvert en arrière de lui. C’est ce même « nouvel objet » qui est perçu par deux canaux sensoriels différents, qui perd de sa réalité par la fréquentation et l’impression des objets externes.

Après la naissance physique, les premiers besoins du nourrisson sont certes liés à l’oralité ; mais ne serait-il pas, aussi et surtout, de naître au monde, à la réalité, de continuer à naître psychiquement ?

Nous savons que la naissance psychique n’est pas l’accouchement, qu’elle lui est antérieure et postérieure. Que la naissance physique entraîne cette chute (ici, ne pourrait-on pas faire un parallèle entre cette perte et les croyances dans une chute originelle de l’homme ?), cette perte abyssale, celle de la totalité, du réel, celle dont Lacan dit qu’elle est une « béance ». L’« incomplétude fondamentale », ne serait-elle pas issue de la perte qui produit le manque, qu’il faudrait combler à tout prix par les identifications successives ?

Le manque ne serait-il pas la perte de  l’amour reçu de la totalité qui cherche son objet afin qu’il lui soit retourné, restitué ? Cette recherche n’obligerait-elle pas le nourrisson à se tourner vers l’extérieur ? La naissance ne serait acceptable que si la transposition de la totalité s’accomplissait [26] , c'est-à-dire, que la question : « où est la totalité ? » puisse devenir : « où est l’autre ? » [27] Que le regard de la mère capté par le « protoregard » de l’enfant  devienne le reflet de la totalité qu’il perd, qu’il lui permette de s’aventurer à naître.

C’est la convergence lumineuse des regards orientés par la totalité qui définit à la fois la maternité et la natalité [28] . Ce sont des regards d’amour. Celui que le nourrisson reçoit n’est-il pas celui qu’il donne (parce que reçu de la totalité) projeté dans le miroir des yeux de sa mère, puis à nouveau introjecté ?

Ainsi, le nourrisson peut croire que l’autre, que le mode de la réalité existe. Il peut ainsi se maintenir ouvert à sa présence, car l’absence de cet autre produirait l’absence de soi avec ses états préautistiques. Cette croyance première se dit, se lit dans le regard qui peut, souvent hélas, faire défaut. C’est le sentiment, la croyance d’être aimé par cet autre dont on ne sait qui il est encore, et ainsi d’accepter l’inacceptable perte du réel, de la totalité avec ses transports océaniques.

Ne pouvons nous pas dire, aussi, que : « c’est bien à partir de soi que l’autre est nommé : car c’est bien soi qui est perçu dans l’autre… » [29]  ? N’est ce pas ainsi qu’il est possible à l’objet qui est placé devant de devenir l’objet placé dedans [30]  ? La perception de cet objet qui est placé devant ne pourrait être sans la préexistence de ce nouvel objet qu’est « la réalité de vision et d’audition » issue de l’expérience interne que fait le fœtus de la totalité. De même, ne serait-ce pas la « béance » qui pousserait le nourrisson à faire exister, l’objet, l’autre, à le chercher à l’extérieur ? N’est-ce pas là aussi, à cause de ce manque, de cette « incomplétude fondamentale », que se met en place le désir qui est un effort pour persévérer dans l’être [31] .

Ce que nous pouvons dire maintenant, c’est que le nourrisson sait qu’il y a un bon objet [32] , que c’est ce « nouvel objet ». Qu’il peut hélas disparaître, mais aussi, heureusement, réapparaître. Qu’il peut être reconnu à l’extérieur parce que projeté avant d’être à nouveau introjecté sous la forme des objets partiels ou de l’objet total ; qu’il « ressuscite » et meurt, tel le phénix, chaque fois qu’il se manifeste ou qu’il s’emble s’absenter. Le nouveau-né hurle comme un désespéré pour faire venir ce qu’il a perdu, et c’est sa mère qui vient et qui ne le satisfera jamais malgré tous ses efforts (N’est-ce pas cela qui fait dire à Freud que quoique nous fassions nous ne serons jamais de très bons parents ?). Déjà, ce qu’il lui reproche, dans sa toute puissance, c’est de ne pas lui rendre la totalité, l’être qu’il perd et qu’il recherchera toute sa vie durant dans une multitude de directions.

Pour ce faire, il sera obligé de passer par les divers stades jusqu’à la « maturité », jusqu’à l’adulte ; où il devra arrêter nombre de guerres, commencées si petit déjà, et se réconcilier avec le meilleur de lui-même [33] . Il devra, autant que faire se peut, à l’aide de son moi et sa fonction de rêves et de rêveries comme satisfaction illusoires, tempérer les diverses pressions psychiques du çà et du surmoi.

Notre temps est si peu familiarisé avec l’inconscient qu’il ne se rend pas encore compte que les enfants difficiles et turbulents sont aussi des révélateurs de ses tabous et de son propre refoulé. Que l’éducation de nos enfants, si difficile soit-elle, commence par la nôtre au regard des miroirs qu’ils sont de nous-mêmes.

La croyance dans les valeurs

Pas très souvent abordées, non plus, voir taboues, les croyances dans les valeurs sont issues du mouvement intérieur basé sur l’expérience du je(u) de la conscience [34]  ; elles sont issues, non seulement des influences philosophiques, religieuses et scientifiques, mais aussi de l’expérience, du je(u) : réel/réalité de chacun.

Les valeurs transcendent le temps, les populations et les idéologies. Elles font leurs apparitions dés les premiers mythes parce qu’elles sont le moteur des civilisations. Ce sont l’égalité, la justice, le vrai, l’honneur, le bien, le beau, la solidarité, l’amitié… Elle sont fantasmées et n’ont rien à voir avec la réalité mais l’homme est capable d’ôter ou de donner sa vie pour défendre ses valeurs.

Nous voyons qu’il y a une historicité, une fluctuation des valeurs ; que le progrès moral critique la morale des générations précédentes ; que les valeurs aristocratiques gréco-romaines sont renversées par les valeurs judéo-chrétiennes ; qu’à leur tour, elles subissent le même sort quand le père du déconstructivisme dit : Dieu est mort. Certes ici, un psychanalyste entend qu’il n’est pas un bon signe d’épanouissement psychique [35] que de tuer le père, mais qu’il faudrait entendre, aussi et surtout, que désormais les valeurs ne sont plus que religieuses.

Malgré le mouvement de 68, où « il était désormais interdit d’interdire », les valeurs n’ont jamais disparu, bien au contraire ; elles ont fluctué, se sont muées ou ont repris spontanément des formes anciennes.

Ainsi, lorsque Coluche fonde les restos du cœur, on ne peut pas dire qu’il soit franchement poussé par la morale judéo chrétienne. Ici, on n’a plus à faire à de la morale mais à de  l’ « éthique » qui est un mouvement de protestation indigné, libre et spontané, et non plus à un système d’interdiction contraint et forcé, introjecté et rigidifié dans un surmoi à son tour répressif. « L’éthique est une exigence morale librement ressentie [36]  ».

Aujourd’hui, cette forme de morale ne se porte plus sur la sexualité mais sur le racisme, les droits de la femme, des enfants, des animaux, la protection des espèces, l’écologie, la biologie, l’industrie, la torture, la guerre et les génocides [37] . Ainsi, il n’est plus possible de faire n’importe quoi.

L’étique et les codes de déontologie foisonnent çà et là, avec l’émergence de nouveaux champs du savoir et d’appropriation de pouvoirs. Les recommandations du comité national d’Ethique, par exemple, faisant office de nouvelle morale officielle [38] .

La psychanalyse nous apprend qu’on est plus animé par les prétextes de l’émotivité que par ceux de la raison, et que dans la pratique psychanalytique certaines valeurs sont thérapeutiques.

Marc-Alain Descamps différencie la conscience morale du surmoi freudien, qui n’est que le réceptacle des traditions, superstitions, principes familiaux, l’héritier et le continuum du surmoi archaïque et cruel des parents [39] . Le surmoi n’est pas seulement une caricature grimaçante porteur de l’ensemble des lois morales ataviques, mais aussi, porteur du « sens des valeurs » ; que Desoille dés 1945 abordera sous la terminologie de tendances oblatives ; que Marc-Alain Descamps classifiera [40] sous forme d’escalier des valeurs avec ses contres valeurs :

-         valeurs de l’oubli (du désespoir) : l’alcool, la drogue, les jeux…

-         valeurs secondes (parfois érigées en idoles): le pouvoir, l’argent, le sexe sans amour…

-         valeurs d’Etre (valeurs oblatives, de dépassement) : l’altruisme, le désintéressement, la générosité, le dévouement, l’abnégation, le don …

Pour Conclure

Nous avons vu, dans un premier temps, qu’à chaque période de l’histoire, les croyances et les convictions issues de l’imaginaire, de la réflexion et de la confrontation des idées, engendrent de nouvelles « représentations de la réalité ».

Puis, nous nous sommes acheminés vers l’amont, la source de la formation des croyances et des convictions où il semblerait que nos quêtes successives seraient des tentatives pour combler, autant que faire se peut, la « béance » provoquée par la perte de la totalité ? Nous recherchons tous le bonheur, mais nous savons aussi que la diversité de notre relation à la réalité peut-être innombrable et se cliver jusqu’à la pathologie.

Depuis quelques décennies déjà, les physiciens quantiques [41] , repris ensuite par certains philosophes, biologistes, biocybernéticiens [42] , signalent que le phénomène observable, l’objet observé, ne peut être séparé du sujet qui l’observe , que la réalité n’est pas séparée de celui qui l’observe. Les choses vont jusqu’à l’hypothèse que la réalité serait une construction [43]  . Malgré le vertige que peut provoquer une telle pensée, le sujet, me semble-t-il, mériterait une plus  vaste réflexion.

Si les choses continuaient à aller dans ce sens, ne pourrions nous pas dire, dores et déjà, que l’essentiel de la formation et du déploiement des croyances et des convictions se résumerait à élaborer, sous l’influence du désir et de nos divers inconscients, les « objets » nécessaires aux projets et aux besoins internes et externes de notre nature, libérant et déployant de « l’énergie psychique opérante» qui nous permettrait de nous acheminer, certes à tâtons, plus avant vers une plus grande unicité psychique ?

Les contenus latents des objets manifestes modelant et projetant, ainsi, les nouvelles « représentations du tangible » qui nous sont nécessaires. Représentations qui, avec leurs cortèges d’extravagances, de déraison et d’absurdité de l’intelligence, sont autant de tentatives de digestions psychiques de la réalité.

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Psychosonique Yogathérapie Psychanalyse & Psychothérapie Dynamique des groupes Eléments Personnels

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9 Décembre 2006



[1] Qui est agnostique.

[2] Pierre Janet, « De l’angoisse à l’extase », édit Société Pierre Janet et le laboratoire de Psychologie Pathologique de la Sorbonne, 1975, v1

[3] Pascal PICQ & Yves COPPENS « Aux origines le l’humanité ». (L’humanité a pour famille les hommes de Neandertal et de Cro-magnon apparus il y a 100 000 ans environ).

[4] Mot norvégien. Ce sont les missionnaires chrétiens irlandais (IIIème siècle) qui commencèrent à fixer cette écriture. Paul HERMANN « La mythologie allemande » P. 9 (Paul HERMANN (1868-1930) fonda à l’université de Strasbourg un centre d’études des mythologies germaniques et celtiques).

[5] Le sujet tout en gardant le sens du réel le tord et le distend à l’aune de ses signifiants fantasmatiques.

[6] Livre de la Genèse 4.10

[7] Livre de l’Exode 24, 3-8

[8] En leur donnant un commandement nouveau, celui de «s’aimer les uns les autres comme lui les avait aimés ». Jean 13-34

[9] Paul HERMANN « La mythologie allemande » édit. PERRIN P. 31

[10] Ibidem P. 26

[11] Ibidem P. 34

[12] Robert LANGOT « L’interprétation des contes » GIREP Études psychothérapiques n°60 P. 115

[13] Ibidem

[14] Qui est agnostique.

[15] Yann Ollivier (Chargé de recherches CNRS à l'École normale supérieure de Lyon), Soirée philo du 20/09/96

[16] Sachant que depuis St Augustin la foi n’a eu de cesse de se fortifier et de se justifier par la raison avec les outils de la philosophie.

[17] Christian Godin, maître de conférences de philosophie, Université de Clermont-Ferrand « Dictionnaire de philosophie » Fayard/Edition du temps, 2004.

[18] Propos probablement tenu à Ankara en 1391

[19] Platon,      «Gorgias, Persuader n'est pas convaincre» Platon Gorgias, édit. Granier Flammarion, 451d-452  

«Socrate : - Tu prétends, Gorgias, être capable de rendre orateur quiconque veut bien s'instruire auprès de toi ?

Gorgias :   - Oui.

Socrate:    - Au point de convaincre une assemblée sur n'importe quel sujet non pas en l'instruisant, mais en la persuadant?

Gorgias:   - Parfaitement.

Socrate:    - Tu as même dit qu'en matière de santé l'orateur est plus persuasif que le médecin.

Gorgias:   - Devant une assemblée, oui, je le maintiens.

Socrate:    - Devant une assemblée, c'est-à-dire devant des gens qui ne savent pas; car, pour sûr, ce n'est pas devant des gens qui savent qu'il est plus persuasif que le médecin.

Gorgias:   - Tu as raison.

Socrate:   -  Ainsi, s'il est plus persuasif que le médecin, le voilà plus persuasif que celui qui sait ?

Gorgias:   - Assurément.

Socrate:   -  Sans être lui-même médecin, n'est-ce pas ?

Gorgias:   - Oui.

Socrate:   - Celui qui n'est pas médecin ignore les choses que le médecin sait.

Gorgias:   - C'est évident.

Socrate:   - Ainsi celui qui ne sait pas se montre, aux yeux des gens qui ne savent pas, plus persuasif que celui qui sait, lorsque l'orateur est plus persuasif que le médecin. C'est ce qui arrive ou non ?

Gorgias:   - C'est bien ce qui arrive, en ce cas du moins.

Socrate:   - Et c'est également à l'égard de tous les autres arts que l'orateur et la rhétorique ont le même avantage : cela exige non pas qu'elle sache la vérité des choses, mais qu'on ait trouvé un procédé de persuasion permettant de passer aux yeux des ignorants pour plus savant que ceux qui savent. »        

[20] Yann Ollivier (Chargé de recherches CNRS à l'École normale supérieure de Lyon), Soirée philo du 20/09/96

[21] Averroès, philosophe arabe à qui on attribut cette doctrine. On lui attribue, aussi, l’introduction de la philosophie grecque en occident.

[22] Lacan

[23] Louis Coste, «Influences pré- et néonatales dans le développement psychique », site Internet. On parle déjà, sérieusement,  que dès le stade utérin, le fœtus a des pulsions orales primaires antécédentes aux apprentissages ultérieurs post natal, puisqu’il suce son pouce. Alors se pose la question, que peut bien signifier maintenant l'expression « état indifférencié » du stade fœtal ? De même, on dispute sur les éventuelles possibilités d’onirismes du foetus.

[24] Jean-Marie Delassus, « psychanalyse de la naissance » édit. Dunod, avril 2005.

[25] Lacan

[26] Jean-Marie Delassus, « psychanalyse de la naissance » édit. Dunod, avril 2005. p334

[27] Idem p223

[28] Idem p365

[29] Jean-Marie Delassus, « psychanalyse de la naissance » édit. Dunod, avril 2005. p233

[30] Ici aussi, on a du mal à parler d’ « état indifférencié » du stade fœtal. Voir site Internet : Louis Coste, «Influences pré- et néonatales dans le développement psychique ».

[31] Spinoza

[32] Pour Mélanie Klein, le nourrisson a d'emblée des relations de type objectal et présente un Moi fonctionnellement actif.

[33] Marc-Alain Descamps, « les thérapies transpersonnelles » Bernet-Danilo, p 45

[34] Gilbert Sescousse, « le je(u) de la conscience » article, voir : Cahiers du Girep n°48 printemps 2006, AFT et site Internet.

[35] Nietzsche mourra fou.

[36] Marc-Alain Descamps « les thérapies transpersonnelles » Bernet-Danilo, p 52

[37] On peut poursuivre des militaires et les accuser de crime contre l’humanité.

[38] Marc-Alain Descamps « la psychanalyse spiritualiste » édit Desclée de Brouwer, mars 2004, p63

[39] Idem p 60-63

[40] Marc-Alain Descamps « les thérapies transpersonnelles » Bernet-Danilo, p 46-53

Marc-Alain Descamps « la psychanalyse spiritualiste » édit Desclée de Brouwer, mars 2004. le surmoi et le sens des valeur, p57-70

[41] Ervin Schrödubger (physicien) avec l’expérience du chat (1935). Parle des états de superposition qui cumule plusieurs état d’incohérence, et Eugene Wigner (prix Nobel de physique 1963) soutiendra l’interaction de la conscience dans la décohérence. La conscience de l’observateur influerait dans la désintégration des atomes... (?)

[42] E.V.Glasersfeld, P. watzlawick, H Maturana,F Varela, H. V. Foerster…

[43] Nathalie Aumage, revue « Imaginaire & inconscient » «  peut-on vivre sans illusions ? », « construction de l’illusion » p22 n°17-2006