L'imaginaire des Contes de Perrault
Leur rapport à la raison

Caroline Portalès-Auriol

Introduction

"Life is a tale
Told by an idiot; full sound and fury
Signifying nothing"
Macbeth, W. Shakespeare

Si la vie est un conte, c'est peut-être dans le conte qu'on est le plus proche de la vie, dans son absurdité. Le conte ne signifie rien - du moins aux yeux de la raison... un conte pour un idiot.

Mais Shakespeare était d'une autre époque, où la raison côtoyait sans gêne la folie. Un conte qui ne signifie rien est- il, peut- il être accepté par un homme du XVllème siècle ?

I) L'IMAGINAIRE DE PERRAULT HORS DE LA RAISON UN MONDE D'IMAGES

A- UN IMAGINAIRE SANS NOM: La négation d’un Monde

1 - concept et définitions

a) Définitions

Le concept d'imaginaire apparaît au XVII ème siècle : en 1637, Descartes découvre les nombres imaginaires, et en 1650, l'espace imaginaire. En partant du postulat i = (Racine de -1), Descartes fonde tout un raisonnement sur une impossibilité - du moins dans le monde réel. Mais il instaure ainsi d'autres règles qui révèlent un autre monde : l'espace imaginaire. Le raisonnement se détache du joug de la reproduction fidèle de la réalité pour en venir à une plus haute abstraction. II y a alors création d'un monde autonome, parallèle àla réalité - c'est ce qu'exprime l'adjectif "imaginaire :qui n'existe pas dans la réalité. Paradoxalement, cette abstraction permet une meilleure représentation visuelle de la réalité on peut situer un nombre dans un espace bs forces, le temps peuvent être représentés.

- C'est donc au XVII ème siècle que le concept d'imaginaire est envisagé pour la première fois, dans le domaine mathématique. Par ailleurs on assiste, à la fin du XVll ème siècle, à une vogue de contes de fées, c'est- à- dire l'exploration d'un imaginaire littéraire. Cependant si l'adjectif "imaginaire " existe, le nom, lui, fait défaut. Un nouvel espace est pressenti, exploré, mais la notion d'imaginaire - comme monde formé de différentes idées produites par l'imagination, organisées en un tout cohérent, autonome et parallèle à la réalité - ne semble pas être perçue ou reconnue.


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L'étude des différentes définitions de "imaginer" que nous donne le dictionnaire de l'Académie de 1694 pourra nous aider à déterminer le rapport que l'on pouvait avoir à l'imagination, à l'époque classique. Peut- être pourra- t- on alors tenter une hypothèse sur l'absence du nom "imaginaire" dans le vocabulaire classique. Selon le dictionnaire de l'Académie, "imaginer" signifie :

- former quelque chose dans son idée, dans son esprit, en emploi transitif, mais il se met le plus souvent avec le pronom personnel, et signifie
- se représenter dans son esprit
- se persuader vainement, estimer que.

Dans la première définition, nous sommes dans le domaine de la raison - à celle­ ci correspond la définition de l'imagination comme étant une pensée, une idée. L'emploi du verbe est transitif : l'opération a un objet tangible, l'idée. Cependant la deuxième et la troisième définition s'emploient avec le prénom personnel. La deuxième définition est du domaine de la visualisation : une opération strictement interne, qui ne peut aboutir à une réalité extérieure et communicable. Elle aboutit sur soi- même, ce qui peut expliquer le pronom personnel. De plus, elle est toujours seconde, elle dépend d'une réalité pré- existante et extérieure à elle- même - la forme pronominale pouvant ainsi rappeler l'aspect passif contenu dans le déponant "imaginor". Mais si l'opération est coupée de toute réalité extérieure, si elle se nourrit d'elle- même, elle aboutit sur la chimère, et le pronominal "se", marque de réflexivité, mène à la vanité.

b) Refus de reconnaissance d'un monde de chimères

Ainsi, tourner les yeux vers soi ne mène qu'à brasser du vide, si on ne prend appui sur la raison. Dans sa deuxième Méditation Métaphysique, Descartes [1] use d'une métaphore intéressante : son entreprise de doute systématique lui fait quitter la rive factice des opinions, se retrouvant dans une eau profonde et agitée, sans savoir où aller:

"... et cependant je ne vois pas de quelle façon je pourrais résoudre [mes doutes] ; et comme si tout à cotfj'étais tombé dans une eau très profonde, je suis tellement surpris, que je ne puis ni assurer mes pieds dans le fond, ni nager pour me soutenir au dessus"

La découverte d'un nouvel espace - celui de notre conscience - est vertigineuse. Nul chemin n'y conduit ; il faut tracer le sien propre - c'est la raison, seul appui solide, qui va le lui permettre. Dans ce nouveau monde chaotique, après la destruction du précédent, le cogito est la première pierre posée de l'édifice. S'imaginer est entaché de subjectivité : la frontière est ténue entre "se représenter dans l'esprit" et "se persuader vainement", entre la visualisation d'une chose existante et la chimère - il suffit de se couper de la réalité extérieure. La représentation reflète alors le monde intérieur, qui n'existe que par la pensée. Ainsi, loin de la raison, point de réalité extérieure, c'est le domaine de la chimère.

La chimère est pure négativité : elle est le contraire de la représentation vraie. Si l'on dénie toute part de vérité à la chimère, elle est simplement hors de la réalité, dans le vide du non- être. II ne peut y avoir de monde de chimères ; aucune cohérence ne peut les régir. Ainsi, dans un siècle où s'imaginer, c'est se persuader vainement, si l'opération ne consiste en une représentation de la réalité extérieure, ou intérieure - celle de la raison - l'imaginaire ne peut être reconnu et accepté. L'imaginaire est soumis à la raison - voir l'intérêt sémantique de la création de l'adjectif "imaginaire" gravitant autour du nom "nombre" ou "espace", dans le concept cartésien de "nombres imaginaires" - ou il n'est pas - il n'est, du moins, pas reconnu. C'est ce que l'on voit chez Boileau, dans l’Art Poétique: hors du chemin de la raison, point de salut.

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2) Boileau : suivre la voie de la raison

a) Métaphore de la ligne droite

Avec l’Art Poétique, Boileau a, en quelque sorte, défini l'esthétique classique. La Poétique - la création littéraire - est un art en ce sens qu'elle est régie par des règles, qui sont l'expression de la raison. La ligne droite est une métaphore récurrente pour désigner une esthétique qui mène à la raison :

"La raison pour marcher n'a souvent qu'une voie [2] "
 "Tout doit tendre au bon sens [3] "  .
Les mauvais auteurs sont emportés "loin du droit sens [4] ".
"Le chemin est glissant et pénible à tenir [5] ".
Cette métaphore n'est pas propre à Boileau, puisque La Bruyère dira :
"La raison tient de la vérité, on n'y arrive que par un chemin, on s'en écarte par mille [6] "

Le style que servira le mieux cette exigence sera donc un style concis, dont l'efficacité reproduira celle de la raison : ainsi l'on retrouve l'isotopie significative du trait, qui répond à la métaphore du chemin de la raison :

"L'un peut tracer en vers une amoureuse flamme
 L'autre d'un trait plaisant aiguiser l'épigramme [7] "
Le style pointe, découpe et sépare :
"Mais de ce style enfin la cour désabusée
(...) Distingua le naïf du plat et du bouffon [8] "

("distinguer" ayant le sens classique de "diviser, séparer")

Le langage est une eau à dompter (cf. l'allusion humoristique à Moise Sauvé de Saint- Amant, qui du fait d'une trop grande prolixité, "Court avec Pharaon se noyer dans les mers [9] "); c'est la raison qui permet de le dompter

"Pour peu qu'on s'en écarte, aussitôt l'on se noie [10] " - La métaphore rappelle étrangement celle de Descartes : c'est aussi la raison qui, pour Descartes, permet de retrouver pied, dans une mer de doute. De même, au chant I, v.167 et 169, Boileau compare le style à un ruisseau ou un torrent, selon qu'on le maîtrise, ou non.

A la fluidité d'un langage qui nous échappe et nous submerge s'oppose donc la solidité et la linéarité d'un style endigué par des règles. Ainsi la muse est "réduite aux règles du devoir [11] " ( le terme est intéressant car il mêle la soumission au devoir, la contrainte et la diminution - à laquelle mène un style qui trace et découpe.).

b)Vers la reproduction d'un ordre

Ce mouvement rectiligne soumis au "joug de la Raison [12] "  tend vers un but reproduire le mieux possible un ordre unique, une structure immuable, celle de la vérité. Cette notion d'ordre à reproduire est contenue des oppositions récurrentes entre ordre et confusion

(Villon) "Vint débrouiller l'art confus de nos vieux romans [13] " vers auquel répond une note de Boileau, qui surenchérit "La plupart de nos anciens romans sont en vers confus et sans ordre, comme le Roman de la Rose et plusieurs autres".

Mais on retrouve cette notion d'une structure à servir, de façon plus implicite, dans les expressions comme les "expressions justes" (Préface de l’Art Poétique), ou le "mot juste" omniprésente (dans l'ouvrage de Boileau, mais aussi de façon plus générale, chez les écrivains classiques comme la Bruyère. A une idée, une part de vérité, correspond un seul mot, une seule phrase, une seule écriture :

[Malherbe] "Fit sentir dans les vers une juste cadence
D'un mot mis en sa place enseigna le pouvoir [14] ".

II n'y a qu'une structure possible, celle de la vérité ; le talent d'un écrivain consistera à la servir le mieux possible. Cette conception des choses peut faire comprendre cette première sentence des Caractères, apparemment si pessimiste.

"Tout est dit et l'on vient trop tard depuis qu'il y a des hommes et qu'ils pensent".
Ecrire, suivre la voie de la raison et être sont une et même chose
"Le vrai peut, quelquefois n'être pas vraisemblable
Une merveille absurde est pour moi sans appas:
L'esprit n'est point ému de ce qu'il ne croit pas [15] . "

Dans une tragédie, mais plus généralement dans une oeuvre littéraire, c'est l'émotion de l'esprit qui doit être recherchée, celle des sens (cf. l'opposition à une écriture qui "chatouillle les sens [16] ") Par ailleurs, il semble intéressant de remarquer qu'ici, Boileau pose comme équivalents, "moi" et "l'esprit".

c) Hors du chemin de la raison, la folie

Hors du chemin de la raison, hors de la ligne droite, nous sommes dans l'excès, dans "l'abondance stérile [17] ", le trop :

"Tout ce qu'on dit de trop est fade et rebutant [18] . "

C'est le règne de la ligne "gothique [19] ", du monstre ("leurs vers monstrueux [20] "), du "caprice [21] " et de la confusion, qui s'oppose à l'ordre de la clarté et de la raison (voir plus haut) . Valeurs baroques contre valeurs classiques. A la pureté d'un monde où règne la raison, répond l'ombre d'un lieu où évoluent :

"(... ) certains esprits dont les sombres pensées
Sont d'un nuage épais toujours embarrassées ;
Le jour de la raison ne le saurait percer [22] ".

Hors du chemin de la raison, nous sommes dans un monde purement négatif, sans une part de vérité : celui de la folie (voir des expressions comme "emportés d'une fougue insensée [23] ". "Ce fou [24] ", ou dans le pastiche de Boileau, Les Héros de Roman, les nombreuses allusions à la folie de ceux - héros précieux de pastorales ou personnages burlesques - qui peuplent les Enfers de la littérature). C'est cette voie là que semble explorer Perrault...

B – L’IMAGINAIRE DE PERRAULT: HORS DU CHEMIN DE LA RAISON, VERS UN MONDE QUI A SES PROPRES REGLES

1 Contes et Raison

a) Etude des dédicaces et préfaces des contes

L'étude des différentes préfaces et dédicaces peut nous renseigner sur le regard objectif que Perrault porte sur les contes, comment il les définit, et par rapport à quoi.

De la dédicace des Souhaits ridicules [25] , à la préface des Contes du Temps Passé, on constate une évolution dont on distinguera deux paliers. Le premier, de la dédicace des Souhaits Ridicules, écrits en 1663, à la préface des Contes en Vers, écrits en 1664, cette période correspondant aux derniers feux de la « Querelle des Anciens et des Modernes ». Au fil des publications successives de ses contes, Perrault semble évoluer de la pure affirmation de l'absurdité du conte - comme étant l'exact contraire d'un récit rationnel - àla justification de son absurditité, par l'évocation d'un destinataire enfant. Dans la dédicace des Souhaits Ridicules, Perrault qualifie sa fable de "folle" et s'attache uniquement à définir, humoristiquement, son conte [26] . On notera que dès l'abord, celui- ci le définit par opposition à la raison. Celle- ci ne le pénètre aucunement; il est son antithèse.

La dédicace du conte de Peau dAne!écrite en 1694, est plus polémique : dès la première ligne, l'auteur s'attaque aux gens à "l'esprit guindé" - le trait semble s'adresser aux Anciens. Dès lors se dessine nettement l'opposition "sornettes" - "Raison la mieux sensée". Perrault justifie alors sa fable par l'idée d'un cycle : la raison appelle les sornettes, comme la peine appelle le plaisir ("jamais déridé", "grave et sérieux":;,- "agréables sornettes"), comme la veille appelle le sommeil ( la raison "lasse souvent de trop veiller" ¹ " Ingénieusement bercée / Prenne plaisir à sommeiller " ), et le jour, la nuit. Imagination et raison appartiennent à deux mondes qui s'appellent et se complètent l'un l'autre, et le conte est destiné à tout le monde, chacun participant de ce cycle rêve / éveil.

La préface des Contes en Vers est toute entière régie par une argumentation contre les Anciens. Perrault l'emploie à justifier ses contes, qui perdent alors valeur de "pures bagatelles", de fiction toute pure, pour "renfermer une morale très sensée". L'absurdité n'est qu'apparence ; le fond est sensé. La raison, déniée dans la dédicace des Souhaits Ridicules, redevient, dans la préface qui englobe les trois contes, maîtresse du jeu.

On constate alors une évolution du destinataire : si les trois premiers contes, individuellement, sont écrits pour des adultes, la préface du recueil qui les réunit justifie l'absurdité - apparente - du conte par un destinataire enfant. Dans la préface de Peau dAne, les contes étaient langage de rêve, leur absurdité était acceptée comme contrepoids de la raison ; dans la préface des Contes en Vers, le conte est un langage d'adulte pour ceux qui, selon la conception classique, sont encore dénués de raison : les enfants [27] . L'absurdité des contes n'est alors qu'apparente et la raison triomphante.

Le deuxième palier de l'évolution du discours de Perrault sur ses contes se situe uniquement dans la dédicace des Histoires ou Contes du Temps Passé, mais il est déterminant. Celle- ci a été écrite en 1697, hors du contexte de la Querelle . Apparemment, Perrault semble reprendre les mêmes arguments que ceux de la préface des Contes en Vers, moins développés et présentés de façon moins polémique. Ce sont des "bagatelles" mais ils "renferment une morale très sensée". Les conditions du conte y sont développées et mises en scène : ce sont les "moindres Familles", adultes issus du peuple, qui ont inventé ces "histoires dépourvues de raison, pour s'accommoder à ces mêmes enfants qui n'en ont encore". Mais il y a un changement fondamental : cette mise en scène est une "image [28] "; elle se déréalise et prend une valeur symbolique. Et la situation d'émission du conte s'inverse totalement. Certes, les contes sont créés par des adultes des "moindres familles" pour leurs enfants et s'adaptent, par un langage et un genre particulier, à leur "absence de raison" ; mais cette genèse est une "image", mise en abyme symbolique, qu'un enfant - revirement suprême - destine à un adulte, de la plus haute société [29] .

Si le destinataire du conte est un enfant, c'est d'un point de vue symbolique; c'est à l'enfant dans l'adulte que l'auteur s'adresse. Une des caractéristiques de l'enfant est l'innocence, c'est- à- dire l'absence de connaissances. Celui- ci appréhende directement le monde, sans l'appui et la protection de codes culturels. Mais ce qui semble le mieux définir l'enfant au XVlle siècle, nous l'avons vu, c'est son "absence de raison". L'enfant est un adulte en miniature et inachevé [30] ; sa faculté de penser n'est chez lui qu'en puissance [31] . La Querelle semble avoir influé sur la part que Perrault octroie à la raison dans les contes. Au plus fort de la Querelle, celui- ci en vient progressivement à mettre en avant le caractère profondément sensé de ses fables. La raison triomphe. Après la Querelle, sa position devient plus ambiguë : certes, le conte s'offre à la raison de l'adulte, mais à condition que celui- ci se fasse enfant : qu'il vienne sans sa culture, et accepte, d'abaisser sa raison :

"Comme rien ne marque tant la vaste étendue d'un esprit que de pouvoir s’élever en même temps aux plus grandes choses, et s’abaisser aux plus petites, on ne sera pas surpris, que la même Princesse, à qui la nature et l'éducation ont rendu familier ce qu'il y a de plus élevé, ne dédaigne pas de prendre plaisir à de telles bagatelles [32] ."

b) Le chemin détourné de la raison

- Pour satisfaire son désir de connaissance de ce qu'il y a "dans les huttes [33] ", la raison doit accepter de s'abaisser à "prendre plaisir". Le conte est divertissement : outre les nombreuses allusions au plaisir que procurent les contes, situées dans les diverses préfaces et dédicaces, nous trouvons le terme dès la première page des Contes en Vers ("Une manière qui instruit et divertît tout ensemble [34] ") puis deux fois dans le même Madrigal ("il ne m'a pas moins divertie" "c'est qu'il divertit et fait rire" [35] ). Or, étymologiquement, "divertere", signifie se détourner de, se diriger, changer. Ainsi, le divertissement est un détournement du but qu'on s'était fixé. C'est en 1663 que ce détournement de but va prendre une nuance de gaîté [36] .

Hors du but fixé et hors du chemin tracé par la raison, c'est le domaine du plaisir. Tel est l'itinéraire qu'empruntera le conte. Les errances des héros qui vont trouver leur destin sur des chemins détournés prennent un tour symbolique : le prince, amoureux de Griselidis, "par hasard ou par destinée, / Prit une route détournée [37] ". Le chemin qui mène àcet autre monde n'est pas rectiligne, comme celui de la raison, : l'itinéraire de la "Belle au Bois Dormant", "montant de chambre en chambre", est labyrinthique, de même que celui du prince amoureux de "Peau d'Ane" "(...) le jeune Prince, errant à l'aventure, De basse- cour en basse cour [38] "

- Ce chemin détourné qui mène à l'univers du conte. nous conduit en terrain inconnu : "Je remettrai vos pas sur un chemin connu [39] ", dit Griselidis à son prince, pour le conduire hors du bois ; mais ce monde n'est pas chaotique, il a sa structure, puisque le prince"en fit une carte fidèle [40] ", tracée par son "ingénieux Amour". L'univers féérique n'est pas régi par les mêmes règles qu'un monde réaliste : la Carte de Tendre n'est pas une carte d'état major ; l'itinéraire rectiligne de la raison laisse la place au labyrinthe - qui a sa logique, inconsciente. En étudier la géographie nous permettra peut- être de la trouver.

2 - La Belle au Bois Dormant: géographie d'un espace imaginaire

a) Le château : mise en abyme du conte

La Belle au Bois Dormant, qui inaugure les Contes du Temps Passé, semble nous offrir une mise en abyme du conte, et nous renseigner ainsi sur ses composantes. Le conte est constitué de deux séquences parallèles, selon la terminologie proppienne, qui reproduisent le même schéma.

La première séquence, qui a pour décor le château de la Belle, est le lieu d'affrontement entre le Donateur - la bonne marraine - et l'Agresseur - la méchante fée. L'objet de cet affrontement est la Belle, dont l'attitude passive révèle que c'est là la seule fonction. Donateur et Agresseur sont de nature surnaturelle. Dans la deuxième séquence, qui se déroule dans le royaume du Prince Charmant, l'héroïne - toujours passive - est l'objet d'un affrontement entre sa belle- mère ogresse et le cuisinier substitut de son mari. Donateur et Agresseur ont ici une nature humaine - un ogre, selon la définition de Perrault, étant un "homme sauvage qui mangeait les petits enfants [41] ". Chaque séquence a pour décor un un univers différent : dans la première, nous sommes pleinement dans le féérique, alors que dans la seconde,l' univers est plus réaliste, coloré de touches fantastiques et cauchemardesques, comme le cannibalisme de l'ogresse. Le monde où évoluent les fées se situe dans les enceintes du château. Protégé de l'autre monde par une série d'enceintes successives (le bois, les haies de ronces et d'épines, l'avant cour, la cour, que traverse successivement le prince), le château est un espace autonome. II a en effet son temps propre, parallèle à celui de la société des hommes (le temps s'arrête entre ses murs, alors qu'il s'écoule normalement en dehors), ainsi que son espace propre : celui- ci s'allonge au fur et à mesure que le prince tente de s'approcher de la Belle; les étapes de son avancée sont soigneusement décomptées, l'adjectif "grand" qualifie chaque lieu, partout se dessine la figure de l'horizontalité ( "il marche vers le château" "il continue son chemin", "il s'avance vers" "au bout de l'avenue", "les gardes rangés en haie", "il traverse les chambres"...).

Le château est un espace de rêve, parallèle à la société des hommes. Fermé au regard, il s'ouvre immédiatement au prince, par la parole d'un vieux paysan : "Mon Prince, il y a plus de cinquante ans que j'ai ouï dire à mon père que...". Le verbe ouïr, présent dans tout le conte, et déjà archaïsant à l'époque de Perrault, mêle oralité et temps passé. Espace mystérieux pour les yeux, accessible par une parole ancestrale transmise oralement de père en fils dans les "moindres familles" : c'est là le domaine du conte.

b) Logique du conte

Le château, mise en abyme symbolique, est un monde autonome et parallèle à la réalité, régi par un autre temps et un autre espace, répondant à d'autres règles. Une attitude rationnelle y est inefficiente. Ainsi les actions des personnages n'influent aucunement sur le cours des choses : le Roi et la Reine essaient par tous les moyens d'avoir un enfant, "et rien n'y faisait". "Enfin pourtant ", vient une fille. "Pourtant" semble ici souligner qu'il n'y a pas de lien de cause à effet entre les deux faits. De même, le Roi et la Reine publient des défenses d'entrer dans le château, mais "ces défenses n'étaient pas nécessaires" puisqu'il crût rapidement une forêt impénétrable autour du château. Ou encore, la princesse n'est pas réveillée par le baiser du Prince- comme le rapportent nos versions contemporaines- mais parceque " la fin de l'enchantement était venue". Les liens de cause à effet n'ont pas prise sur ce monde. Par ailleurs, l'étude des variantes du conte - la première version étant publiée en 1696 et la seconde en 1697 - nous montre que le style tend à devenir paratactique.

Parataxe, (féminin, adjectif : paratactique)

La parataxe consiste à supprimer la subordination entre des propositions. Les propositions paratactiques sont alors juxtaposées sans êtres unies par un rapport syntaxique de subordination ou de coordination

Par exemple, dans la première version, "mais ce qui le surprit un peu [42] ", se transforme en "et ce qui le surprit un peu" dans la seconde. Une modification qui serait anodine, si on la retrouvait souvent. Ainsi, p.102, un "enfin" disparaît, p.103, "où il vit" se transforme en "et il vit"... II semble en fait que, de la première à la deuxième version; le style devienne plus elliptique, et que les termes soulignant grammaticalement une structure logique soient soigneusement effacés. Le style naïf de l'Enfant se précise : l'Enfant énonce les faits, il les aligne sans les hiérarchiser, sans en découvrir la mécanique. Disparition des liens de cause à effet, disparition de tout ce qui souligne une structure logique ...nous sommes dans un monde où la raison n'a pas de prise. Ainsi ce mot de la Belle semble- t- il bien absurde : "Est- ce vous mon Prince, Vous vous êtes bien fait attendre"... une telle situation aurait logiquement requis une certaine surprise. Mais nous sommes dans une autre logique: celle des Fées.

Libéré d'un système où les effets sont logiquement liés à des causes objectives, ce monde peut laisser surgir l'absurdité. Le hasard semble y régner en maître. C'est conduite par le hasard que la jeune princesse découvre l'unique rouet du royaume: : "il arriva que la jeune princesse..."; le conteur ne semble pas prendre la peine de justifier l'événement pour satisfaire un souci de vraisemblance et de cohérence - on retrouve cette légèreté dans divers contes comme Cendrillon ("il arriva que le fils du Roi donna un bal" [43] ) ou Le Chat Botté ("Le Roi vint à passer [44] ").

Ce hasard, souligné par moments par le narrateur, prend même parfois une allure caricaturale : le jeune prince du Conte de Peau d Ane, "errant à l'aventure", "par hasard (...) mit l'oeil au trou de la serrure [45] ", formule renouvelée plus loin quand Peau d'Ane laisse tomber "par hasard [46] "dans la pâte son anneau - un faux hasard - souligné par le commentaire du narrateur :

"Mais ceux qu'on tient savoir la fin de cette histoire
Assurent que par elle exprès il y fut mis [47] "

Libérée du joug rationnel, l'histoire n'a plus à justifier l'apparition ou la disparition d'un personnage - ainsi dans La Belle au Bois Dormant, la Fée endort tout le monde; sauf le Roi et la Reine, qui ne seront donc plus là au réveil de leur fille - le narrateur le note au détour d'une parenthèse, et n'en donne pas la raison. Mais le hasard n'est que la partie apparente d'une logique plus profonde, incarnée par diverses figures du destin. Ainsi le conte est dominé par la parole des Fées, contre laquelle on ne peut rien ( " l'Arrêt des Fées l'ordonnait ainsi ".) ;la vieille femme et son fuseau sont des variantes des Parques ; une modification stylistique met en valeur cette insistance sur le poids du destin : "il fallait bien que cela arrivât" disait le Roi à propos de l'accident de la Belle dans la première version du conte. La deuxième version est plus elliptique :" il fallait que cela arrivât ". La suppression de l'adverbe "bien", qui avait valeur d'atténuation, renforce l'idée d'une fatalité [48] . La logique implacable des Fées - incarnée par la figure du destin- a donc remplacé dans le conte celle de la raison. Le chemin de la raison devait mener à la vérité, accessible à la conscience ; celui du conte mène à la découverte d'un nouvel espace : l'espace sacré.

c ) Définition du sacré

J'utiliserai ce terme non dans son sens étroitement religieux, mais selon la définition qu'en donne Freud dans L'Homme Moise, ou la Formation du Monothéisme [49] . Le sacré totémique est la représentation symbolique du père primitif tout- puissant, qu'on doit à la fois révérer et redouter, c'est- à- dire ne pas regarder directement, sous peine de mort ou de castration. On trouve cette ambivalence dans l'étymologie même "sacer", signifiant " ce qui est à révérer ", mais également " ce qui est maudit " ( aura sacra fames = la soif maudite de l'or).

- Le sacré est le lieu d'une transcendance (qui peut être incarnée par les Fées, comme dans La Belle au Bois Dormant), qu'elle soit de nature divine, existentielle ou psychique. Son espace est celui d'un autre monde, hermétiquement séparé de la société des hommes : espace aveugle, comme nous le verrons plus loin, sans mémoire, qui a son propre temps et son propre espace.

- Cette transcendance étant une force aveugle, à la fois porteuse de vie et porteuse de mort, on ne doit la regarder directement. Ainsi le propre du sacré, c'est d'être l'interdit, la tabou. Le sacré, c'est ce que l'on ne doit pas voir - du moins directement ; un travail de symbolisation doit intervenir, et transformer la transcendance en totem.

Nous avons conscience que ce terme est imparfait, car trop connoté dans le domaine religieux, et qu'il n'est pas assez précis. Cependant nous le garderons, car il semble le seul à exprimer d'une part l'idée d'un interdit ; il dessine les contours d'un espace à ne pas franchir, qui protègent ainsi un mystère essentiel.En cela la Tour, muraille circulaire qui enferme et dérobe aux yeux un espace aveugle est un intéressant symbole du sacré. Par ailleurs, le terme suggère ce qu'il y a dans cet espace - une transcendance- sans pour autant la nommer, c'est- à- dire en lui laissant son mystère. Nous ne tenterons pas, quant à nous, de déterminer sa naturidivine, existentielle ou psychique - car cela serait, semble- t- il, la réduire dans les cadres d'une théorie. II paraît, en bout d'analyse, que l'imprécision du terme soit la meilleure définition qu'on puisse donner de cette transcendance, irréductible à l'homme et au langage.

d ) Espace du sacré dans le conte

La rencontre entre la Belle et le Prince se fait dans le château, sous le signe de l'horizontalité - voir plus haut l'insistance sur le chemin parcourru par le prince. L'éveil de la sensualité de la jeune femme, sa rencontre avec l'autre se font sous cette perspective horizontale. Mais un autre espace se dessine en amont, celui de la Tour appartient au domaine du sacré : on croyait la vieille Fée, qui n'était pas sortie de sa tour depuis longtemps, "morte ou enchantée". La Tour dans laquelle monte la jeune princesse va la mettre en contact avec son destin, un sommeil proche de la mort. II y a une grande insistance sur les figures de la verticalité : la jeune princesse monte "de chambres en chambres", "jusqu'au haut d'un donjon", dans un "galetas" - le terme même évoque la hauteur, puisqu'il est issu de "galata", haute tour édifiée au point culminant de Constantinople. La Tour est donc le lieu d'une transcendance. Un monde clos, séparé du monde extérieur qui est mort pour quiconque réside dans l'espace sacré : la vieille femme qui filait sa quenouille "n'avait point ouï parler" des défenses faites par le Roi de filer. Inversement, on y est soi- même mort pour le monde extérieur - c'est ce que l'on avait cru au sujet de la vieille Fée enfermée dans sa tour.

Ainsi le conte comporte un espace de sacré, fermé et dangereux, puisque pouvant déboucher sur le sommeil ou sur la mort. Trois figures successives se dessinent alors pour mettre en contact le héros avec son destin. La première est celle de la vieille Fée. Celle- ci est de nature surnaturelle. Elle crée le destin, mais ce destin est néfaste ; un rapport direct avec celle- ci est dangereux. La deuxième figure est celle de la "bonne Vieille, qui met la Belle au contact avec son destin. Celui- ci est devenu moins néfaste ; la mort s'est transformée en long sommeil.

Cette " bonne Vieille " réalise le destin, mais n'en a pas conscience : elle n'a pas "ouï" parler de l'interdiction du Roi - elle est enfermée dans l'espace de la tour, et non celui des hommes. Elle est aveugle et sans mémoire; sa seule fonction est de transmettre le sacré - c'est ce rôle qui la rend positive et atténue le danger du contact avec le sacré. Enfin, la troisième figure est celle du vieux Paysan qui, par son récit va permettre la rencontre entre la Belle et le Prince, transformant ainsi son sommeil en amour. Nous sommes toujours dans un univers féérique - celui du château, de la rencontre amoureuse - mais le sacré n'est plus ici maléfique : le vieux paysan n'a aucun contact avec le sacré - il appartient à un univers social. II ne sait pas lui non plus qu'il réalise le destin ; il transmet aveuglément une parole qui garde la mémoire du sacré. II est la mémoire du conte (si la bonne Vieille "n'a pas ouï parler des défenses ", le vieux paysan a " ouï dire à [son] père " ce qu'il y avait dans le château) ; le sacré mis en paroles, et de ce fait bénéfique. Le conte mène graduellement vers un éloignement du sacré - la Tour- et vers l'atténuation de son danger, la mort se transformant en amour. On pourra d'abord remarquer que sacré et vieillesse semblent liés, comme si s'approcher du sacré équivalait à remonter vers le temps passé [50] .

Par ailleurs on notera la dualité de la vieillesse - maléfique ou bénéfique - selon qu'elle est ou non, à la source du sacré (on retrouvera cette dualité dans la distinction même que Perrault fait des Anciens et des Aïeux). Cette dualité des figures de vieillesse révèle celle du sacré, dangereux ou bénéfique, que l'on retrouve jusque dans l'étymologie du mot "sacer" signifiant ce qui est à révérer, mais également ce qui est horrible.

Ainsi le conte semble atténuer le danger du sacré. C'est ce que nous apprend symboliquement, le vieux paysan qui transmet sans brûler. Mais comment cette transformation s'opère- t- elle ? En quoi consiste cette mise à distance du sacré ?

C - MODE D'APPREHENSION DU SACRE PAR LE CONTE

1 - Danger de la vision du sacré : étude comparée du Petit Chaperon Rouge et de La Barbe Bleue

a ) Définitions

Le Sacré auquel sont confrontés les héros de la Belle au Bois Dormant est donc irradiant, dangereux; un contact trop direct avec lui mène à mort, ou à la perte de la conscience. "Sacer", nous l'avons vu désigne ce qui ne peut être touché sans souiller ou être souillé, d'où le double sens du "sacré" et "maudit [51] ".Or, si l'on en croit la dédicace des Souhaits Ridicules, la première qualité d'un conte est de "faire voir ce qu'on entend" ; de même, dans celle des Histoires ou Contes du Temps Passé, la qualité des "Héros" - c'est- à­dire les lecteurs de haute lignée - est d'aller " jusque dans les huttes pour y voir de près et par eux mêmes ce qu'il s'y passait [52] ". Ainsi, vision et conte semblent liés. Pourtant, ce qui caractérise l'action de voir, c'est un rapport direct au monde, à la chose ou à l'idée : en se référant au Dictionnaire de 1 Académie de 1694, on peut dégager trois définitions de la vision. D'abord, voir, c'est établir un rapport direct à la réalité et au monde extérieur. Si l'on voit quelque chose, c'est que cela existe ("Je voudrais voir tout le monde heureux" = Je voudrais que tout le monde soit heureux). Voir est également de l'ordre de la conscience cela signifie alors comprendre, concevoir, étudier (d'où l'idée "claire et distincte " cartésienne : une idée que l'on peut voir clairement) ; et ne pas voir, c'est ne pas comprendre ("Je n'y vois goutte"). Enfin - mais cette acception n'a qu'une part insignifiante par rapport aux deux autres - on ne garde de la vision que son rapport extérieur au monde. " Voir " signifie alors se limiter à la première apparence: "à première vue", "il semble à voir". Mais globalement, " voir " est soit pris sur un plan existentiel, comme rapport direct au monde extérieur, et perception de la Réalité de ce monde; soit sur un plan intellectuel, cela signifie connaître et comprendre - c'est la notion d'évidence et de véracité contenue dans la première définition qui semble avoir permis ce passage à la deuxième définition. Ainsi vision et rapport direct - à une réalité extérieure ou intérieure - paraissent intimement liés. Une appréhension du sacré par la vision n'est- elle donc pas dangereuse ? De quel ordre cette vision peut- elle alors être ? L'étude comparée du Petit Chaperon Rouge et de La Barbe Bleue nous permettra peut- être d'y répondre.

b)  Danger de la vision

A chaque question sur l'anatomie du loup, le Petit Chaperon Rouge s'approche toujours un peu plus du danger. Or dans cette progression vers la mort, à l'avant- dernier stade, se situe la vue : "Ma Mère- Grand, que vous avez de grands yeux ! - C'est pour mieux voir mon enfant [53] ": juste avant la dévoration, se situe le stade de la vision. L'itinéraire du Petit Chaperon Rouge vers l'inconnu n'est pas sans danger. Un homme qui "a vu le loup" est un homme qui " s'est trouvé à plusieurs occasions de guerre, qui a fait beaucoup de voyages en des pays dangereux et qui est fort rompu dans le commerce et dans affaires du monde [54] ": il a côtoyé et il connaît ce qu'il y a de plus sauvage - situations ou pulsions- et il en est revenu. Mais le voyage dans l'imaginaire, vers ce qu'on ne voit pas avec les yeux dans la raison - le loup - comporte des risques. La frêle conscience en pays inconnu peut être définitivement submergée par le sacré mortifère, et rester dans l'imaginaire : nous sommes alors dans la Folie.

La femme de Barbe Bleue, Quant à elle, n'a pas été dévorée. Elle a certes été aveuglée un instant : "D'abord, elle ne vit rien [55] ", perte momentanée de conscience ( " voir " équivaut à comprendre, selon l'usage du XVllème siècle - cf. plus haut). Puis son regard suit un chemin au rebours d'un itinéraire traditionnel [56] : elle voit d'abord du sang, puis au travers de ce miroir [57] , elle perçoit des corps de femmes - nous sommes en vision inversée, son regard allant de bas en haut . Leur caractérisation spatiale apparaît ( " attachées le long des murs " ). Puis l'explication rationnelle, notée entre parenthèses f "c'était toutes les femmes que la Barbe Bleue avait égorgées l'une après l'autre~.iÎes parenthèses soulignent que cette explication est sous un autre plan. Ce peut être celui du narrateur intervenant pour donner des explications au lecteur, ou bien l'explication que la femme de Barbe Bleue se donne à elle même. Les parenthèses soulignent alors que l'explication rationnelle est sous un tout autre plan que celui de la perception visuelle de l'horreur, et qu'elles semblent même être deux mondes hermétiquement séparés. L'itinéraire du regard de la femme passe donc de la matière pure (le sang) à la forme (le corps), à la localisation dans l'espace puis à l'explication rationnelle; c'est- à- dire qu'il va de l'effet dernier à la cause première. La fulgurance de la vision est ainsi rendue : ce que voit d'abord l'héroïne du conte, c'est le sang, la matière pure qui n'est pas passée encore par le filtre de la raison. C'est là la force et le danger de la vision directe, vision de mort qui frappe du fait de n'être pas digérée par les codes du langage.

c) Du Petit Chaperon Rouge à La Barbe Bleue: du non- dit au dit et à l'interdit

Si l'on étudie parallèlement Le Petit Chaperon Rouge et La Barbe Bleue, c'est que ces deux contes semblent se répondre. La fin tragique du Petit Chaperon Rouge a pu choquer les conteurs (cf. la version différente des frères Grimm et les versions enfantines des contes de Perrault). Elle a même été sévèrement critiquée par B. Bettelheim [58] qui y voit une méconnaissance profonde de l'action des contes sur le psychisme de l'enfant. En fait, à la fin tragique du Petit Chaperon Rouge, correspond la fin heureuse de La Barbe Bleue. Les deux traumatismes sont les mêmes : voir ce qu'on n'aurait pas dû voir. Mais les conditions d'apparition de la vision traumatique diffèrent.

- Le Petit Chaperon Rouge est un conte d'avertissement. II y manque pourtant un avertissement, qui serait transgressé. L'héroïne part chez sa Grand- mère, mais sa mère ne lui fait aucune recommandation ni interdiction. Ceci est souligné par le commentaire du narrateur : "la pauvre enfant, qui ne savait pas qu'il est dangereux de s'arrêter à écouter un loup [59] ...", le Petit Chaperon Rouge, abandonnée à une liberté sans bornes [60] , suit un itinéraire dans ce monde inconnu, en conséquence: la petite fille s"y installe - au lieu de le traverser - allant de découvertes en découvertes. Elle suit un itinéraire papillonnant :prend le chemin le plus long, et "s'amuse ( ....) à courir après les papillons", alors que le loup court "de toute sa force par le chemin qui [est] le plus court"., suivant un itinéraire rectiligne. Le Petit Chaperon Rouge sera dévoré de s'être installé dans l'imaginaire, au lieu de le traverser.

- Barbe Bleue; au contraire, pose un interdit, et ainsi localise spatialement ce qu'il ne faut pas voir. L'univers du Petit Chaperon Rouge était mis sous le signe du petit ("Petit Chaperon Rouge, "petit pot de beurre", "les petites fleurs", les diminutifs contenus dans "noisettes", "chevillette" et "bobinette"...) ; et la petite fille se fait submerger par le grand, en voyant qu'il ne fallait pas voir. ("Ma Mère- r n, que vous avez de r n bras", formulette répétée cinq fois). L'interdit n'ayant pas été posé, l'horreur n'est pas cernée; n'étant localisée nulle part, elle est partout : la petite fille est alors submergée [61] . Dans le conte de La Barbe Bleue, tout pouvoir est laissé à l'héroïne, à l'exception du "petit cabinet au bout de la grande galerie de l'appartement bas". Sur toile de fond d'infini (toutes les richesses de Barbe Bleue sont passées en revue, le narrateur insiste sur la visite des pièces innombrables ; l'importance des pluriels et l'insistance de la description suggèrent l'idée d'infini), la vision interdite est cernée par le petit (la petite clé, le petit cabinet). L'horreur est ici localisée et circonscrite, grâce à l'interdit. C'est ce qui permet à l'héroïne de fermer la porte, au lieu d'être immédiatement submergée par le dévoilement du tabou. Mais cet événement n'est pas totalement effacé. II reste une trace de son passage dans la chambre interdite: le sang sur la clé Fée ne peut être ôté. C'est le dialogue entre la Soeur Anne - dont le regard est tourné, du haut de sa tour, sur le monde extérieur [62] - et l'héroïne sans nom, aveuglée par ce qu'elle n'aurait pas dû voir, qui aidera celle- ci à devenir "maîtresse d'elle- même" et "oublier [63] " l'événement.

On peut donc constater que les deux contes se répondent, traitant du même sujet : le danger d'une vision trop directe du sacré. Le sacré est ambivalent, à la fois bénéfique et dangereux, comme nous le révèle son étymologie [64] , et c'est tel quel que la vision nous le transmet.

Ainsi ces contes forment un diptyque, le premier dressant la tableau du danger d'une telle vision sans l'aide du langage et de ses bornes, le deuxième donnant la clé pour refermer la porte. L'héroïne de La Barbe Bleue a un contact direct avec le sacré : elle le voit, mais au travers d'un cadre, celui du miroir de sang. A la vision directe du sacré doit succéder la médiatisation par l'image.

2 - De la vision directe à la vision de l'image.

a) La vision à travers un cadre.

Si dans La Barbe Bleue, l'héroïne voir d'emblée l'horreur médiatisée par un miroir de sang, le conte de Peau d Ane insiste plutôt sur le cheminement qui consiste àmettre progressivement à distance le sacré, à séparer le fantasme de la réalité - àconstruire les murailles. Dans le royaume du père de Peau d'Ane, aucune forme ne sépare le désir de la réalité. A la demande pressante du père, la jeune fille oppose trois souhaits, qu'elle voudrait irréalisables, comme autant de bornes au "fol amour" du Roi. Mais la puissance de réalisation du désir de son père - symbolisée par l'âne faiseur d'or - est telle, que le réel n'offre plus de résistances au fantasme. Pour pouvoir franchir les limites du tabou, le roi aplanit en contrepartie les bornes qu'offre le réel aux désirs de sa fille : ses trois souhaits, toujours plus difficiles à réaliser, seront exaucés. Nous sommes dans le royaume du désir toujours satisfait. Peau d'Ane est alors confrontée à toute l'ambivalence que nous avions observée précédemment au sujet du sacré, à la fois bénéfique et mortifère ambivalence du désir de son père ( derrière un émerveillement croissant des trois robes, se cache toute l'horreur de la Peau d'Ane ); ambivalence des sentiments de la jeune fille.( celle­ci est "de joie et de douleur pénétrée ; elle se laisse progressivement tenter étant " àconsentir presque délibérée " quand elle se trouve "terriblement épouvantée" par la peau d'âne [65] . ). Quand le rêve et la réalité se mêlent, l'être est livré au merveilleux et à l'horreur sans défense.

Les exigences de Peau d'Ane, ne pouvant plus opposer de bornes au "fol amour" de son père, c'est spatialement que la jeune fille met son désir à distance

"Et elle alla donc bien loin, bien loin, encore plus loin [66] ". Aux limites sociales toujours dépassées par le père, doivent correspondre des limites spatiales toujours dépassées par la fille. Ainsi Peau d'Ane porte- t- elle en elle cette même ambivalence du sacré : elle affiche pour se protéger l'horreur et la mort, la peau de l'âne. Mais cette dépouille "effroyable" est également un " masque admirable [67] ". Si dans la semaine Peau d'Ane est souillon, le dimanche, devant son miroir, selon un rituel narcissique, elle est princesse "Devant son grand miroir contente et satisfaite, (...)Elle aimait à se voir ". La différence par rapport au royaume de son père, où tout désir était satisfait, réside en ce que ce plaisir narcissique est limité dans l'espace et dans le temps "Ce doux plaisir la sustentait Et la ménerait jusqu'à l'autre dimanche [68] ". De même le jeune prince n'est pas aveuglé par la robe couleur de soleil de Peau d'Ane, étant séparé de cette vision "au gré de son désir" par une cloison. "Trois fois (...) II voulut enfoncer la porte ; Mais croyant voir une Divinité, Trois fois par le respect, son bras fu~arrêté [69] ".

Sacré et respect - c'est- à- dire, distance - sont liés. La vision du fantasme requiert le cadre d'une serrure [70] .

b) Espaces réels et espaces imaginaires du conte, rapport de symétrie inverse

La vision à travers le cadre du miroir, ou le trou de la serrure, tient de la projection fantasmatique. Peau d'Ane aime à se voir telle qu'elle était dans le royaume de son père, en princesse ; le prince regarde Peau d'Ane "au gré de son désir". C'est le cadre qui permet à ces héros de contempler l'image qu'ils affectionnent sans être menacés par elle c'est le cadre qui permet la séparation de la réalité et du fantasme. Ainsi peut- on dégager dans le conte un espace de réalité, et un espace d'imaginaire. Distinguer les relations qui les unissent nous permettra de qualifier plus précisément cet espace qui s'offre à la vue.

Nous avions vu, lors de l'étude de La Belle au Bois Dormant, que les deux séquences constituant ce conte avaient même structure. Totalement différentes en apparence, semblant presque artificiellement réunies, elles se répètent en profondeur. Ainsi l'héroïne était, dans la première séquence; l'objet passif d'un affrontement entre une mauvaise Fée, vieille et porteuse de mort et une bonne Fée, une de ses marraines, jeune et aimante, qui lui sauve la vie. On peut noter l'absence fondamentale de réaction de la mère lors des divers événements qui touchent sa fille : seul le Roi tâche d'éviter le malheur prédit en faisant publier des défenses de filer au fuseau ; seul le Roi monte dans la Tour une fois la prédiction accomplie ; le Roi encore ordonne qu'on la laisse en repos, et vient accueillir la Fée. L'héroïne semble alors la victime de deux tendances d'une même personne ;: la jeune mère porteuse de vie et la vieille mère jalouse, porteuse de mort.. C'est le jeune prince qui soustraira l'héroïne à l'ambivalence de cet amour. Dans la deuxième séquence, l'héroïne est la victime de sa belle- mère. On peut remarquer que la lutte a lieu quand la jeune femme est elle- même mère. Ainsi nous avons de nouveau d'une part une jeune mère, aimante et porteuse d'amour, et de l'autre une mère plus agée, jalouse et ogresse. Ni la jeune femme, ni la belle- mère ne portent de nom, et toutes deux portent le même titre : celui de Reine.

Elles seront simplement différenciées en fonction de leur âge. La "jeune Reine" - la " Reine­ Mère " - , ou de leur nature ( la "méchante Reine".). Elles sont donc stylistiquement confondues. Cette ambiguïté réunit ces deux personnages en une seule personne à deux faces : la mère. Si dans le première séquence, le jeune prince libère la fille de l'emprise jalouse de sa mère, dans la deuxième séquence, la figure masculine - d'abord le maître d'hôtel, puis le mari - sépare les deux faces de cette personnalité. Le jugement de Salomon ne partage pas l'enfant; Salomon - l'homme et la loi - ne garde de la mère que son amour, et la sépare de sa pulsion de mort (un amour trop entier est mortifère ). Ainsi les deux séquences de La Belle au Bois Dormant se répondent et s'organisent en reflet.

c) La symbolique du miroir

L'espace imaginaire du conte n'est cependant pas le reflet mimétique de son espace réel ; il semblerait être par rapport à l'espace réel comme un négatif. Les miroirs dans le conte sont nombreux, et sont peut- être appelés par une autre nécessité qu'une référence à un phénomène de mode. Le miroir fait partie de la toilette des Belles, ou des coquettes. Ainsi Peau d'Ane en transporte un dans sa cassette. On peut remarquer une expression que l'on retrouve souvent à son propos : les soeurs de Cendrillon ont des miroirs "où elles se [voient] depuis les pieds jusqu'à la tête [71] ". De même, on trouve dans les richesses de la femme de Barbe Bleue des "miroirs où l'on se [voit] depuis les pieds jusqu'à la tête [72] ".Certes le miroir à la fin du XVllème siècle est un témoignage éclatant de luxe. Mais si l'on rapproche cette phrase de l'itinéraire du regard de l'héroïne de La Barbe Bleue dans la chambre interdite, allant du miroir de sang aux femmes qui s'y reflètent - donc de bas en haut - . L'expression perd son caractère figé et peut être prise au pied de la lettre. Le reflet des miroirs offre à leurs détentrices une image inversée par rapport à la réalité qui irait plutôt "de la tête aux pieds".

La vision dans le miroir offre donc un négatif de la réalité. On retrouve ce rapport de symétrie inversé, de façon structurelle, entre les différents espaces que l'on peut trouver dans certains contes de Perrault. Dans La Belle au Bois Dormant, l'espace imaginaire et l'espace réel, situés dans les deux séquences du conte, s'opposent en apparence comme le rêve et la veille, les fées et les hommes. Le rapport d'opposition symétrique est plus sensible dans Le Petit Poucet. De la maison du bûcheron à la maison de l'ogre, nous passons d'un monde, au négatif de ce monde. La maison du bûcheron était habitée par un couple, et ses sept garçons ; celle de l'ogre, par un couple et ses sept filles. Dans la première, c'est le règne de la disette, dans la seconde, l'opulence est partout, et l'on y fait bonne chère.. Dans la première, nous sommes dans un monde pauvre mais humain, dans la seconde, nous sommes dans le monde de l'horreur où la civilisation - la richesse de l'ogre, ses relations "sociales" (les autres ogres qu'il doit recevoir) - règne avec la sauvagerie : le cannibalisme . Mais ces deux espaces sont- ils uniquement régis par un lien d'opposition ? L'un n'est- il que le négatif de l'autre ? On constate en effet des similitudes entre ces deux mondes : chez le bûcheron, la vie s'organise autour de la nourriture, et de son manque ; si la nourriture est en abondance dans la maison de l'ogre, les activités de l'ogre et de sa famille tournent cependant autour. Nous sommes en fait en présence des deux faces d'une même réalité une oralité omniprésente - les Jeux sur la polysémie des termes (comme, par exemple, le jeu du mot que fait l'ogre sur le terme "habiller", au sujet des enfants [73] ), et les homonymies soulignent cette similitude : les enfants font "bonne chère" dans la maison du bûcheron le jour où quelque argent a été envoyé par le seigneur; dans la maison de l'ogre, ils sont "chair fraîche". Cette homonymie, apparemment innocente, ne souligne- t- elle pas un certain cannibalisme des parents ? Après le passage par l'imaginaire, le trouble est jeté sur l'attitude égoïste des parents, appuyé par l'ironie du narrateur : c'est "lorsqu'ils furent rassasiés" que la femme du bûcheron s'inquiète du sort de ses enfants ; de même, les enfants sont considérés comme des objets : leur mère en "faisait" deux à la fois, elle allait vite "en besogne"... Le cannibalisme qui règne dans le monde de l'ogre met donc à jour le cannibalisme voilé des parents du Petit Poucet et leur tendance à considérer leurs enfants comme de simples objets. L'espace imaginaire sert alors non seulement à projeter des désirs, comme c'est le cas dans Peau dAne, mais également des phobies. II permet l'expression d'une perception de la réalité, mais de façon inversée, grossie et travestie. Ainsi peut- on la regarder en face sans être dévoré.

La vision dans l'imaginaire ne peut donc être directe. Désirs et phobies - projections intérieures - y sont déformés. Reflet dans le miroir : la distance prise par rapport à l'imaginaire permet la création d'un espace à la fois fondamentalement irréel et porteur de vérité - de sa vérité. L'imaginaire est alors localisé en un point au lieu de submerger tout l'espace de la conscience. Mais la vision du sacré - de ce qu'on ne doit pas voir directement, qu'on doit respecter, c'est- à- dire tenir à distance pour le regarder - ne peut se faire que grâce à la caution d'irréalité de cet espace imaginaire. La vision directe est médiatisée par l'image, ce qui permet au "spectateur respectueux" de profiter du pouvoir d'irréalité de l'image, tout en contemplant sa propre vérité déformée. Etymologiquement, l'image a un lien avec la mort [74] . L' Imago était d'abord, sous l'Antiquité, un moulage de cire effectué sur le visage du mort. Le Jus Imaginum était un droit octroyé aux nobles de promener en public l' Imago, le double de l'aïeul. De même la Figura était d'abord un fantôme, pour prendre ensuite le sens actuel de "figure". L'idole également, qui vient de eidolôn signifiait d'abord le fantôme, le spectre, l'âme du mort qui s'envole, pour être ensuite l'image, le portrait. L'image primitive est donc un substitut vivant du mort. A la vision traumatique de la mort succède l'image de l'innommable. Persée a eu besoin d'un miroir pour regarder Méduse sans être pétrifié d'horreur. Un tableau de Caravaggio représente Méduse dans toute sa laideur reflétée sur un bouclier, support de la peinture. L'art comme bouclier contre l'horreur de la mort... Bouclier de mots, l'image dans le conte permet de regarder le sacré sans y laisser la vue.

3 - Une image de mots

a) Méfiance de Perrault envers l'image

La vision directe de l'horreur est donc à la fois mise à distance et présentée sous une forme symbolique dans le conte. Celle- ci se transforme en image. Cependant on remarque une méfiance de Perrault envers l'image. Les contes de Perrault abondent en personnages gémellaires [75] . Or ceux- ci ne sont jamais les héros, mais très souvent les faux- héros. L'exemple le plus révélateur est celui du Petit Poucet. Le Petit Poucet est le seul à ne pas avoir de frère jumeau ; ses autres frères ont tous un double. Or ce qui les caractérise, c'est la passivité, lors des différentes épreuves passées. Le Petit Poucet, au contraire, se met, dans ces épreuves révélatrices, à diriger, lui qui était le cadet de la famille. II anticipe sur l'événement, et peut donc influer sur lui. Si ses frères dorment d'un sommeil quasi hypnotique en plusieurs occasions cruciales, le Petit Poucet, lui, reste éveillé : la veille des deux abandons de leurs parents ; la nuit passée chez l'ogre. Les personnages pris dans un rapport de similarité ne réagissent pas favorablement aux épreuves initiatrices : ils semblent frappés de passivité, comme s'ils étaient étrangement extérieurs à eux- mêmes. On choisira parmi d'autres l'exemple des Fées :ce conte nous présente deux filles en parallèle, l'une étant bonne, l'autre mauvaise. La jeune fille mauvaise est le portrait de sa mère [76] qui en était folle ; elle est donc prise dans un rapport mimétique avec sa mère, relation qui frôle la folie. Celle qui est bonne est le portrait de son père : mais justement, son père est mort. Elle a donc sa singularité propre. Celles- ci subissent une épreuve en parallèle, à laquelle celle qui fait figure de héros réagira favorablement, et celle qui a pour fonction d'être faux héros, défavorablement. Ce n'est par ailleurs pas la même épreuve. La Fée qui éprouve la jeune fille honnête est une bonne vieille femme : elle ne ressemble ni à sa mère, qui est mauvaise, ni à elle même. Mais pour éprouver l'autre fille, la Fée se transforme en "Dame magnifiquement vêtue",riche et plus jeune, comme la mauvaise mère, ou sa mauvaise fille la Brutale échoue, prise au piège du mimétisme. L'amour "fou" de la mère pour la mauvaise fille semble bien plus néfaste que son aversion pour sa cadette. Le reflet est aliénant ; la fascination pour son image dangereuse. II n'est pas indifférent que le Petit Poucet n'ait pas de frère jumeau - une singularité qu'il porte jusque dans son nom, le pouce étant le seul doigt à ne pas avoir de double. A l'éveil constant de celui- ci s'oppose le sommeil et la passivité de ses frères. Le premier conte des Histoires ou Contes du Temps Passé était La Belle au Bois Dormant, le dernier, Le Petit Poucet. Du sommeil à l'éveil... la leçon ées contes de Perrault ne serait- elle pas de sortir de la fascination de l'image pour accéder à la singularité et à l'éveil [77] ?

b) Imaqe des mots : un merveilleux contenu

Perrault au fil de ses contes, tend à prendre de la distance vis- à- vis des images de merveilleux : il réalise stylistiquement l'exploit du Petit Poucet. Certains mots sont créateurs d'images mentales : la Tour, la Forêt, la maison de l'ogre, ou le logis des parents pauvres..Elles participent du fond commun des contes merveilleux : ce sont des pôles embrayeurs de merveilleux. Mais précisément, on constate chez Perrault une certaine sécheresse dans la description de ces images. Des Contes en Vers aux Contes du Temps Passé, le merveilleux évoqué devient de plus en plus allusif. Ainsi, dans Peau d’Ane, nous pouvons nous représenter la grotte de la Fée, "de Nacre et de Corail richement étoffée [78] " ; nous pouvons voir le logis de Griselidis "Que couvre et rafraîchit un spacieux Platane [79] "; la forêt dans laquelle elle habite, les circonstances qui ont mené le Prince à se perdre sont longuement évoquées. De même le lecteur peut arriver à voir la métairie dans laquelle travaille Peau d'Ane

"..., Poules de Barbarie Râles,
Pintades, Cormorans,
Oisons Musqués, Canes Petières,
Et Mille autres oiseaux de bizarres manières
Entre eux presque tous différents,
Remplissaient à l'envi dix cours toutes entières [80] ."

La sensualité du lecteur est ici suscitée ; les mots évocateurs de plaisirs et de couleurs s'accumulent, et la métairie prend une bigarrure que l'on ne trouve plus par la suite : si la Tour dans La Belle au Bois Dormantest un élément fondamental du conte, celle- ci n'est pas décrite. Elle devient schématique. Elle n'est plus un lieu particulier appartenant à un monde particulier : elle devient un type. A la fois appelée à la présence, et soustraite au regard, la Tour n'est vue que de l'extérieur _ mais la Belle au Bois Dormant n'a- t- elle pas trouvé une mort momentanée pour y être entrée ?

Les images étant ainsi condensées, leur force est décuplée : en interdisant à sa femme l'accès du "petit cabinet", Barbe Bleue suggère qu'il y a quelque chose à voir, sans dire ce qu'il y a. II donne à voir sans montrer. Le processus d'imagination se déclenche alors chez l'héroïne du conte : le "petit cabinet" qu'elle ne peut voir "néantise", selon l'expression sartrienne, l'infini des choses qu'elle peut voir [81] . Le réel est nié; l'image apparaît, dans toute sa force.

Les personnages eux- mêmes deviennent des types : le prince amoureux de Griselidis était psychologiquement ambigu, jouant à la fois le rôle du Donateur et de l'Agresseur. Dans les Contes du Temps Passé, les personnages ont un rôle bien défini ; par ailleurs leur motivation n'est pas expliquée, alors que le prince dans Griselidis justifiait longuement sa misogynie. Nous ne somme plus dans le domaine du réalisme psychologique ; les personnages sont de pures "fonctions [82] ", le langage étant moins descriptif, l'image signifie plus - sans fasciner, comme c'est le cas chez d'autres conteurs.

Si l'on compare Perrault à Mademoiselle Lhéritier, ou à Madame d'Aulnoy, on notera chez Perrault une méfiance envers les images de merveilleux. Celui- ci nous le laisse entrevoir mais il va droit au but, sans s'installer dans cet univers. L'itinéraire de Madame d'Aulnoy, par exemple, ressemblerait plus à celui du Petit Chaperon Rouge: elle choisit le chemin le plus long, son itinéraire est "papillonnant". Son imagination fertile se plaît à nous décrire cet univers de féérie; nous pouvons nous installer dans ce monde onirique, et en apprécier les charmes. Les Contes de Perrault, au contraire, sont une brève intrusion dans l'imaginaire. Le style est elliptique, les contes très concis. (.. II pourra être intéressant à ce sujet de mettre en parallèle Les Fées de Ch. Perrault, et Les Enchantements de l'Eloquence, de Mademoiselle Lhéritier. La trame de l'histoire est la même, mais le conte de Mademoiselle Lhéritier a la longueur d'une nouvelle, alors que celui de Perrault occupe deux pages.La présence du conteur, ironique envers le merveilleux, se fait sentir en maints endroits. Le Petit Poucet, chaussé de Bottes de Sept Lieues, est peut- être la figure la plus emblématique de l'esthétique des contes de Perrault : il ne s'installe jamais en un lieu - la maison de l'ogre, ou celle du monde civilisé - mais tire sa richesse d'un passage incessant d'un monde à l'autre.

On peut donc constater un mouvement double dans les Contes de Perrault celui- ci évoque le merveilleux, nous ouvre la voie vers un monde qui n'est plus régi par la Raison, un monde d'images. Mais parallèlement, Perrault se défie des images de merveilleux, de leur pouvoir de fascination. Elles sont alors stylisées, le merveilleux est constamment désamorcé. Pourtant les contes continuent à exercer leur pouvoir...

On constate alors un recul du merveilleux : il semble moins résider dans l'univers décrit que dans le langage. Au- delà des images, les mots;c'est là, semble- t- il, la particularité des Contes de Perrault : ceux- ci nous offrent un retour au pouvoir et à la fascination des mots.

II - UN IMAGINAIRE DANS UN MOT ; UN NOUVEAU RAPPORT AU LANGAGE.

A- MAGIE DU MOT.

Les images, même de mots, provoquent chez Perrault une dangereuse fascination. Celui- ci pour écrire ses contes, fait appel à un imaginaire; mais ce monde d'images est, parallèlement, nié ou mis à distance. Pourtant, si les contes de Perrault ne font pas rêver comme ceux de Madame d'Aulnoy, ceux- là continuent d'exercer un pouvoir sur leurs lecteurs. L'attraction qu'ils exercent ne réside pas dans leurs images de merveilleux, dont le pouvoir de fascination est désamorcé par Perrault ; c'est le langage même des contes qui semble, de façon plus souterraine, exercer ce pouvoir - l'imaginaire réside moins dans les images de merveilleux, que dans ce qui les véhicule : les mots, auxquel le pouvoir est rendu.

II semble en effet que l'idéal classique, que nous étudierons de nouveau à partir de Boileau, soit de dompter la langue, de réduire son pouvoir au profit de la raison : nous opposerons alors à l'idéal classique de transparence du langage, l'opacité de la langue des contes. Celle- ci n'est plus véhicule d'une idée - elle prend de l'épaisseur, et participe à la réalité du monde.

1 - Boileau : le mot domestiqué

a) Transparence d'un langage au service de la raison.

La qualité première du langage semble, pour Boileau, sa limpidité, sa transparence. On trouve souvent dans 1 Art Poétique la métaphore du langage comme eau le chemin d'un bon auteur est

"... glissant et pénible à tenir Pour peu qu'on s'en écarte, aussitôt l'on se noie [83] ". De même le style peut être soit un ruisseau, soit un "torrent débordé" qui "roule, plein de graviers, sur un terrain fangeux [84] ". Un style non maîtrisé manque donc de clarté, comme le suggère l'adjectif "fangeux", la qualité du langage sera donc celle de l'eau : pureté et clarté. Ces deux termes riment ensemble aux vers 141 et 142 du Chant I ; au vers 136, l'oreille est "épurée" ; au vers 152, l'expression est "plus pure". A cette pureté et cette clarté s'opposent l'ombre et la confusion de l’esprit "II est certains esprits dont les sombres pensées Sont d'un nuage épais toujours embarrassées ; Le jour de la raison ne le saurait percer [85] " A l'acuité de la lumière s'oppose la confusion de l'ombre. Par ailleurs la clarté est métaphorique de la raison - métaphore commune au XVII° s. : on peut penser à "l'idée claire et distincte " de Descartes ; à l'expression "y voir clair" pour signifier que l'on comprend... Ainsi, à l'origine de la clarté et de la pureté de l'expression se tient celle de la raison

" Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement
Et les mots pour le dire arrivent aisément [86] "

L'idée est donc prioritaire sur le langage ; la clarté du langage découle de celle de la pensée, et en est le pur symptôme - la qualité première du langage est alors de se plier à la pensée, d'être suffisamment transparent pour l'exprimer.

b) Raison contre sauvagerie : le langage - rempart.

La qualité première du langage est donc d'être assez transparent pour servir la raison. Cependant, certains termes la désignent comme sacrée : au vers 155 du Chant I, elle est "révérée", au vers 156, elle est "sacrée" ; au vers 161, on parle d' "auteur divin"... Si on se reporte à un texte très important du Chant IV, du vers 133 au vers 150, on peut expliquer ce paradoxe [87] :

 "Avant que la raison, s'expliquant par la voix
Eût instruit les humains, eût enseigné les lois,
Tous les hommes suivaient la grossière nature,
Dispersés dans les bois couraient à la pâture
La force tenait lieu de droit et d'équité ;
Le meurtre s'exerçait avec impunité.
Mais du discours enfin l'harmonieuse adresse
De ces sauvages moeurs adoucit la rudesse,
Rassembla les humains dans les forêts épars,
Enferma les cités de murs et de remparts, (...)
De là sont nés ces bruits reçus dans l'univers
Qu'aux accents dont Orphée emplit des monts de Thrace
Les tigres amollis dépouillaient leurs audace;
Qu'aux accents d'Amphion les pierres se mouvaient
Et sur les murs thébains en ordre s'élevaient [88] ".

Le texte prend l'allure d'une légende pour remonter aux origines mythiques du langage. Deux mondes sont opposés : celui de la forêt et celui de la cité. Les bois sont le domaine de la sauvagerie ; les hommes sont encore des bêtes (ils" couraient à la pâture") ; c'est le règne de la force et des tigres. Ce lieu est donc caractérisé par l'anarchie : la seule loi qui y règne est celle du plus fort. Les hommes y sont mûs par la passion ( "ils suivaient la grossière nature"). A ce monde s'oppose celui de la cité, caractérisé par l'ordre, la loi, l'unité (les hommes qui étaient épars dans la forêt sont rassemblés dans la cité), la raison . Ces deux mondes sont totalement opposés, sans interpénétration possible. La nature sauvage est donc, dans la cité - et plus symboliquement, chez l'homme civilisé - mise définitivement à l'écart.

C'est le langage poétique qui a ainsi coupé l'humanité de la sauvagerie- le langage est mur et rempart - la comparaison suggère non seulement une séparation, une mise à distance de la sauvagerie (et l'on peut se rappeler à cet égard la métaphore du langage poétique comme trait qui découpe, que l'on avait observée dans la première partie) ; mais également un monde refermé sur lui- même donnant l'idée d'une société, par opposition à la dissémination des humains dans la forêt. Par ailleurs, la construction de ce mur formé de pierres élevées "en ordre" nous rappelle l'insistance de Boileau sur l'ordre immuable que doit reproduire le mot : celui- ci doit être " juste", "pertinent" et surtout Mis en sa place [89]

Ainsi Orphée vainc la sauvagerie grâce à ses accents poétiques. Mais l'on pourra noter que c'est un Orphée avant sa descente aux enfers, avant sa dissémination que Boileau nous présente là. II semble même ne pas tenir compte de cette partie de la légende [90] ...

c) La langue de Babel

Ainsi la langue est sacrée quand elle fait office de rempart contre la sauvagerie, et qu'elle sert à construire la cité de l'homme, c'est- à- dire qu'elle se fait transparente pour être la voix de la raison. Mais, comme l'eau, à la fois source de vie et de mort, la langue est double. Voix de la raison, elle peut être également, "hors du droit sens [91] ",celle de l'"éclatante folie [92] " La langue qui n'est pas assujettie à la raison devient vaine.

[Que votre muse] "Partout joigne au plaisant le solide et l'utile.
Un lecteur sage fuit un vain amusement,
Et veut mettre à profit son divertissement [93] ."

Elle devient à elle- même son propre but: l'écrivain peu scrupuleux "vendit des paroles [94] ", ou l'écrivain peu talentueux est, dans "ses pompeux amas d'expressions frivoles (...) un déclarateur amoureux de paroles [95] ". A la langue cité, dont les murs" en ordre

s'élevaient" pour être la voix de la raison, une langue qui approche le "sacré" et le "divin [96] ", s'oppose alors la langue qui se détache de sa mission divine pour être à elle- même son propre but. C'est la langue de Babel, dans laquelle évolue le "pompeux barbarisme" et "d'un

vers ampoulé l'orgueilleux solécisme [97] ".La langue qui s'élève pour elle- même, contre la raison, laisse alors apparaître ce contre quoi le langage de la raison a élevé un rempart : la sauvagerie, les sens

"L'amour le moins honnête exprimé chastement
N'excite point en nous de honteux mouvements.
(…) Ne corrompt point le coeur en chatouillant les sens [98] ".

C'est un langage qui "chatouillerait les sens" qu'il: faut bannir pour permettre à l'homme de se construire [99] . Perrault, quant à lui, semble présenter un nouveau rapport au langage. La langue retrouve son pouvoir ; elle prend de l'épaisseur; elle devient alors langage du corps.

2 - Perrault: Retour au pouvoir du langage.

a) Une mythologie antique aseptisée.

L'esthétique classique, théorisée par Boileau, invite donc le langage à être assez transparent pour restituer le mieux possible l'idée. On observe cette nécessité de transparence jusque dans l'un des derniers retranchements de l'imaginaire : la mythologie antique [100] .La fable antique est omniprésente dans la société privilégiée du XVllème siècle. Elle est la condition même de la lisibilité du monde culturel : rares sont les conversations de salons, les jeux littéraires ou les oeuvres qui n'y font pas référence. Jaucourt, à l'article "Fable" de l'Encyclopédie, écrit au sujet des personnages mythiques: "le rôle qu'ils jouent dans les écrits des anciens poètes et les fréquentes allusions des poètes modernes les ont presque réalisés pour nous. Nos yeux sont familiarisés au point que nous avons peine à les regarder comme imaginaires [101] " Cet imaginaire perd son caractère d'étrangeté, non seulement du fait de sa large diffusion, mais également de son caractère culturel. La fable est un langage : elle permet d'exprimer en registre noble l'amour, ou l'ambition par exemple, avec les pastorales ou les fictions héroïques. On ne s'arrête pas à la littéralité de l'allégorie ; elle est simple indice de culture. La création d'un dictionnaire des mythes est significative cet outil de traduction pose d'abord qu'il y a disjonction entre apparence et sens, et que cet écart est annulé par un système de corrélations fixes. Ce processus, poussé à l'excès, mène à un merveilleux antique qui est pur langage, qui devient transparent. Toute "inquiétante étrangeté" de l'allégorie disparaît.

C'est cette étrangeté que Perrault semble tenter de retrouver. Ses fables perdent en lisibilité ; elles gagnent en pouvoir.

b) Magie de la parole dans les Contes de Perrault.

Le rapport au langage est un élément central des contes. Dans Les Fées, la parole perd littéralement sa transparence, puisqu'elle se transforme en pierres précieuses et en fleurs. Le signifiant n'est plus à dépasser: il a sa valeur propre. L'héroïne des Fées subit, selon le schéma canonique [102] , une épreuve préparatoire, au cours de laquelle la Fée lui fournit un auxileaire magique qui lui permettra de répondre à l'épreuve principale ; cette épreuve se déroulera dans la forêt, où elle rencontrera le prince. Or dans Les Fées, l'auxiliaire n'est pas un objet magique quelconque, comme la baguette de Peau d'Ane, ou le clé de Barbe Bleue. C'est la parole magique, matérialisée en pierres précieuses, qui lui permet de passer l'épreuve de la forêt et d'y trouver l'amour. Sans cet auxiliaire, - comme c'est le cas pour l'autre soeur, figure du faux- héros - c'est la mort que l'on trouve. Le pouvoir de la parole magique - et naïve : la parole du conte - est grand. Avec elle, la forêt - domaine des désirs et des phobies, de l'inconscient - est lieu de rencontre et d'amour ;ce n'est qu'un passage, bref et nécessaire. Sans cet auxiliaire, la forêt est une voie sans issue, où l'on trouve la mort.

La parole semble donc la clé du passage dans l'imaginaire : l'interdit de Barbe Bleue et la petite clé ne font- ils pas une et même chose ? n'est- ce pas l'avertissement qui a manqué au Petit Chaperon Rouge lors de son passage dans le bois ? Son pouvoir est grand. Si les contes de Perrault ne sont pas riches en objets magiques et images de féérie, par comparaison avec Madame d'Aulnoy [103] , par exemple, un élément cependant est présent dans nombre de contes : la magie de la parole.

Dans le conte des Souhaits Ridicules, cette toute puissance de la parole est centrale. II suffit au bûcheron d'exprimer un voeu, pour qu'il se réalise. Le monde extérieur n'offre plus de résistance au désir ; il se construit au contraire à son image. De même, la puissance du père de Peau d'Ane consiste en la réalisation immédiate des souhaits qu'elle formule, si difficiles soient- ils. II suffit également à Cendrillon de formuler "Je voudrais bien..." pour que sa marraine l'exauce : elle ira au bal, le futur remplace l'irréel du présent. Ainsi, dans le conte de Perrault, la parole a un poids.

On remarque par ailleurs que la parole magique est souvent de valeur performative [104] . La valeur magique de la bénédiction et de la malédiction, du souhait ou du serment, implicite et symbolique dans la réalité, devient dans le conte mise en évidence, et en image. Les Fées de La Belle au Bois Dormant, par le seul pouvoir de leur parole, tissent le destin de la Belle. De même le serment de la princesse de Riquet à la Houppe, rend son mariage inéluctable, malgré les apparences. La dernière phrase du conte est éloquente "Dès le lendemain, les noces furent faites, ainsi que Riquet à la Houppe l'avait prévu, et selon les ordres qu'il en avait donnés longtemps auparavant [105] . Le souhait, dans les Souhaits Ridicules, se réalise du fait même de sa formulation. Les formules performatives, présentes dans des sociétés où la parole a perdu une grande partie de son pouvoir, sont les "restes mnésiques", selon l'expression de Freud, de sociétés disparues où la parole avait pour fonction d'agir sur le monde. Telle était sa raison d'être : selon A. Leroi- Gourhan, la parole est née de cérémonies incantatoires ; sa fonction était essentiellement magique [106] . Ainsi la magie des souhaits, serments et malédictions, dans le monde féerique peut éveiller des résonances chez le lecteur. Son pouvoir n'est plus seulement appréhendé d'un point de vue extérieur et critique ; il peut être inconsciemment ressenti. La parole agit sur lui ; son pouvoir est amplifié.

Comme dans les rêves, ou les jeux d'enfants, la parole a donc, dans le conte, un pouvoir de réalisation. Celui- ci est tel qu'il échappe parfois à son auteur. Ainsi dans les Souhaits Ridicules, les voeux du bûcheron ressemblent fort à des lapsus. Celui- ci multiplie pourtant les défenses : son souhait ne doit pas être l'expression spontanée de son désir, mais il doit être mûrement réfléchi : il ne faut "rien faire à la légère [107] ". Sa femme tient le même discours raisonnable :

"(...) Considérant l'importance
De s'y conduire avec prudence
(…) Ne gâtons rien par notre impatience
Examinons bien entre nous
Ce qu'il faut faire en pareille occurence
( ....) Consultons notre chevet [108] "

Cependant, malgré toutes ces défenses, le souhait jaillit quand on s'y attend le moins, lors du repos du bûcheron. Le désir s'exprime quand la raison ne veille plus - de même, dans la préface de Peau dAne, Perrault justifiait l'apparition du conte, du sommeil de la raison. Le repos, le "divertissement", le conte redonnent pouvoir à la parole : un pouvoir d'évocation du désir. La magie de la parole dans les contes est de faire que le souhait se réalise. La magie du conte est de faire apparaître le souhait, d'exprimer le désir - de permettre le lapsus. Ainsi dans le conte, l'homme ne domine plus le langage, celui- ci lui échappe, et le domine. D'où vient ce pouvoir ? Quelle est la particularité du langage que l'on trouve dans les contes de Perrault ? La "voix de la raison" devait, chez Boileau, s'opposer à la langue de Babel, le langage qui "chatouille les sens". On pourra se demander si ce pouvoir du langage des contes n'est pas lié à un nouveau rapport aux sens et au corps.

B- UN LANGAGE PROCHE DU CORPS

1 - Le corps dans les contes

a) Le thème de l'oralité dans les contes.

Le rapport privilégié des personnages à la nourriture semble omniprésent dans le conte. L'oralité [109] débridée nous apparaît clairement avec des personnages tels que les ogres et les ogresses. Aux fées, qui détiennent le pouvoir de parole, s'oppose l'ogresse, dans la Belle au Bois Dormant. L'oralité emplit toute la seconde partie du conte : le penchant de la Belle- Mère ogresse est longuement décrit. Celle- ci veut manger la petite Aurore "à la sauce - Robert." . elle allie un important indice de civilisation, l'art culinaire, au signe le plus frappant de sauvagerie, le cannibalisme ; cette alliance souligne le caractère pervers de son penchant. Ainsi ne pourra- t- elle être punie que selon cette logique : dévorée dans une cuve. De même le Chat Botté vainc- t- il l'ogre en utilisant sa logique : il lui demande d'abord de se transformer en lion, animal dévoreur; puis en souris, animal à dévorer ; c'est entre les dents du Chat que finira l'ogre, pris à son propre jeu - un jeu oral.

- Le chat, a priori, fonctionne aussi sur un mode oral, c'est un prédateur. Mais sa force est de maîtriser son oralité. De même qu'il enclint le fils du meunier à maîtriser la sienne - son maître, qui " meurt de faim" pensait en effet le manger- de même le chat prend au piège lapins ou perdrix, pour les offrir au Roi, en espérant gagner sa faveur. II ne réprime pas sa pulsion orale ; il la dévie, pour en utiliser la force.

- De même la force du Petit Poucet a été d'utiliser l'oralité sans y succomber, en la maîtrisant. La maison du bûcheron, espace de réel où sévit la famine, s'oppose symétriquement à la maison de l'ogre, où règne l'opulence. Au manque s'oppose l'excès, mais nous sommes dans une même logique, celle de l'oralité. C'est le manque de nourriture qui cause l'abandon des enfants dans le bois. Le Petit Poucet répond rationnellement à ce problème, suivant astucieusement le chemin des cailloux. Le problème est résolu momentanément : "tant que les dix sous durèrent [110] ". Lors du deuxième abandon dans le bois, le Petit Poucet semble échouer dans sa tentative à résoudre le problème : le chemin de miettes est avalé par les oiseaux. Mais cela permet en réalité d'entrer au coeur du problème, dans l'espace où la nourriture prend une dimension phobique. C'est parce que le Petit Poucet est entré dans la maison de l'ogre qu'il peut revenir enrichi des Bottes de sept lieues et du butin de l'ogre ; c'est parce qu'il est passé dans l'espace de cauchemar, miroir grossissant de la réalité, qu'il peut résoudre le problème fondamental : trouver une source de richesse permanente pour sortir de l'oralité. Le chemin de miettes est préférable au chemin de cailloux : suivre la logique de l'oralité en la maîtrisant permet de résoudre ce que la raison n'avait combattu que momentanément.

b) Le langage du corps.

Si l'oralité est un thème récurrent„ il semble définir le rapport même du lecteur àla langue des contes. II n'est pas anodin que la préface des Souhaits Ridicules, précise qu' "une aune de boudin" fournisse la matière du conte. Celui- ci est constitué de boudin ; il est à appréhender sur le mode oral. De même trouve- t- on dans les diverses préfaces et dédicaces la métaphore du conte comme mets à déguster. Perrault clôture la lettre à Monsieur *** en lui envoyant Griselidis, avec un poème où ce conte devient repas :

"Est- ce une raison décisive
D'ôter un bon mets d'un repas,(...)
(II faut) Que les mets pour plaire à tous
Soient différents comme les goûts [111] ."

Dans la préface des Contes en Vers, le récit des contes est une enveloppe agréable au goût destinée à faire ingurgiter aux enfants des vérités indigestes pour leur âge "N'est- il pas louable à des Pères et à des Mères, lorsque leurs enfants ne sont pas encore capables de goûter des vérités solides et dénuées de tous agréments, de les leur faire aimer, et si cela se peut dire les leur faire avaler, en les enveloppant dans des récits agréables et proportionnés à la faiblesse de leur âge. II n'est pas croyable avec quelle avidité ces âmes innocentes (...) reçoivent ces instructions cachées [112] ". Le prétexte d'un destinataire enfant permet d'aborder le langage du conte sous un autre angle que celui de la raison : c'est sous l'angle du plaisir oral que celui- ci doit être appréhendé.

Ainsi la caractéristique première du langage du conte, que Perrault met en avant dans ses préfaces, est la jouissance qu'il procure. Dans la préface des Contes en Vers, ceux- ci sont" faits à plaisir. "Dans le madrigal final, ils font "plaisir à lire". A "l'esprit guindé", "au front jamais déridé" - antonymes de plaisir - s'oppose, dans la dédicace de Peau d’Ane, une raison qui prend "plaisir à sommeiller". Dans cette même préface, le "loisir" rime avec "désir" - plaisir, loisir, désir : c'est là l'univers du conte. La première phrase des Histoires ou Contes du Temps Passé met en évidence ce plaisir d'écrire les contes : "On ne trouvera pas étrange qu'un enfant ait pris plaisir à composer ces contes"... puis plus loin le plaisir de lire : "on ne sera point surpris que la même princesse (...) ne dédaigne pas de prendre plaisir à de semblables bagatelles".

Le corps est présent dans les contes, via un rapport au monde des personnages sur le mgde oral. Cette représentation du corps ressemble à une mise en abyme du rapport du lecteur au conte : Perrault compare son oeuvre à un mets à déguster. Ce n'est pas à l'intelligence, que s'adressent ses fables, mais au corps, qui est dans l'esprit, c'est- à- dire à l'imagination. En effet, selon Descartes, l'imagination est "l'application de la faculté qui connaît au corps qui lui est intimement présent [113] ", elle est le point de jonction entre l'esprit et le corps ; le chose pensante qui participe de la chose étendue. Elle est intimement liée à la matière ( "Je détournerai ma pensée de la considération des choses sensibles ou imaginables, pour la porter à celles qui, étant dégagées de toute matière, sont purement intelligibles [114] " Mais comment retrouver la présence de la matière dans le langage ? Comment un rapport sensuel au langage est- il possible dans l'écrit ? Comment le conte peut- il s'adresser au corps ?,

Etudier le style même des contes de Perrault pourrait nous permettre d'y répondre.

 

2 - Un langage qui "chatouille les sens"

a) Le mystère de l'incarnation: la Chair et le Verbe [115]

Le Christ peut être pris comme emblème de la représentation car il est double :à la fois homme et Dieu, Chair et Verbe: De même l'image peinte est chair déifiée, matière sublimée. Le mot participe de cette dualité : à la fois signifiant et signifié, signe visuel à dépasser ver un son et un sens abstrait. Deux hérésies semblent resurgir  au XVllème siècle : les monophysites, qui ne reconnaissent qu'une nature au Christ et privilégient grandement Dieu en Jésus, l'Esprit dans la forme ; la deuxième hérésie est celle des nestoriens qui maximisent l'homme en Jésus, la matière dans la forme. Ces deux conceptions, qui poussent à l'excès un des termes de l'incarnation - chair ou verbe - peuvent dessiner deux conceptions opposées de l'art : un art qui privilégie le Verbe, où l'accent est mis sur l'Esprit dans la forme ; un art de distanciation, où le géométrique, le conceptuel dominent.

En peinture, l'exubérance visuelle s'effacera derrière le sens; la ligne, le trait, le dessin domineront. On voit s'esquisser ici la tendance littéraire de Boileau : un art du trait.

A celle- ci s'oppose une tendance artistique opposée, celle qui privilégie la chair et la matière. En peinture, le tactile, les effets de pâte, la sensualité dominent ; la tendance ira vers la lumière et la couleur ; c'est le grain des choses qui est recherché dans cette approche du monde. II sera intéressant de voir, d'un point de vue littéraire quelle orientation choisit Perrault.

b) Une langue qui révèle le grain des choses.

- Dans le style "naïf" et volontairement plat de Perrault se détachent par moments des îlots de couleurs, et l'aspérité des matières. Dès le titre de Cendrillon ou la Petite Pantoufle de Verre, nous sommes confrontés à une opposition cendres / verre, qui évoque de façon diffuse l'opposition sale / propre, ombre / lumière, diffus / net... De même, la couleur rouge emplit Le Petit Chaperon Rouge. Son nom est répété dix fois en trois pages. II tisse une toile de fond rouge dans le conte, sans que le lecteur en soit pleinement conscient, puisqu'il ne lui semble lire que le nom de l'héroïne... Le rouge éveille une appréhension chez le lecteur ; celui- ci ressent la symbolique de la couleur, sans arriver à se le formuler. Perrault use du même procédé pour le conte de La Barbe Bleue. Le Bleu fonctionne comme une marque du redoutable personnage. On ressent dès le titre une anormalité : le bleu est un signe ; mais on ne sait de quoi au juste. Et cette absence d'explication crée un trouble qui envahit de façon diffuse le conte. Nous nous rapprochons ici de la peinture et de l'effet qu'elle peut avoir sur le spectateur : est- ce vraiment le sujet. - ce qu'on peut dire - qui a troublé Bergotte~terrassé devant la Vue du Port de Delft de Vermeer [116] ? N'est- ce pas un détail infime, le "Petit Pan de Mur Jaune" et sa couleur qui ont provoqué son sentiment d'impuissance à dire l'essentiel ? Et son balbutiement n'est- il pas ce qui s'approche le plus de la fascination indicible qu'exerce sur lui cette couleur et cette matière ?

- Les dernières paroles que Bergotte balbutie ("Petit pan de mur jaune... Petit pan de mur jaune...") rappellent étrangement certains martèlements phonétiques des Contes de Perrault : le "petit pot de beurre", répété cinq fois dans le court conte du Petit Chaperon Rouge, le nom même de l'héroïne, ou le formule : "Tire la chevillette, la bobinette cherra", (d'autant plus fascinante qu'elle est incompréhensible, ces termes étant déjà archaïques au XVllème siècle). De même "la Barbe Bleue" ou "le Petit Poucet", nous révèlent que les sonorités - en majeure partie labiales - sont tout aussi importantes que le sens. Ainsi la langue des contes joue sur d'autres registres que ceux de la langue de la raison ; elle devient étrangère à soi, fascinante, aliénante. Elle véhicule les mystères de la matière, au lieu de tenter de les éclairer, ou de les supprimer.

c) La Sauvagerie dans le langage

Pour "chatouiller les sens", Perrault joue sur le langage comme un peintre travaillerait sur son matériau pur : celui- ci utilise la couleur, la matière, les sonorités, hors de toute signification rationnelle. Le mot reprend une opacité qui avait été perdue par une trop grande volonté d'explication de toute zone d'ombre. Le mot perd sa transparence, et nous révèle ainsi l'existence d'un monde où règne la sauvagerie [117] , au lieu de nous en tenir àl'écart.

Alors que la langue de Boileau tendait à supprimer toute ambiguïté, pour atteindre la clarté, Perrault joue au contraire sur les différentes strates qui constituent un mot et en font sa matière. D'une part au moyen de ses connotations : certains mots évoquent, nous l'avons vu, une couleur, une matière, un son ; mais également un registre (certains termes par exemple nous portent à assimiler la femme à un prédateur, comme "halener [118] " terme de chasse, ou "drue [119] ", terme de fauconnerie) ou même un temps (beaucoup de termes archaïsant comme "ouïr" ou "tire la bobinette et la chevillette cherra" nous font inconsciemment remonter vers "le Temps Passé").

D'autre part, Perrault fait un très intéressant usage des polysémies et homophonies d'un terme et mêle sens premier et sens figuré. De nombreux jeux de mots émaillent les contes. Des expressions figées et imagées sont prises au pied de la lettre ; le conte sert en quelque sorte à illustrer leur sens premier. Ainsi, dans les Souhaits Ridicules, c'est littéralement qu'il faut prendre l'expression : "va tirer du vin derrière les fagots [120] "... De même dans la dédicace des Souhaits Ridicules, Perrault mèle astucieusement le concret et l'abstrait : en présentant son conte, celui- ci précise qu' "une aune de boudin en fournit la matière ". La "matière" est bien sûr à prendre au sens littéraire de "sujet". Cependant l'expression est ambigüe, et, rapprochée de "boudin", la matière prend un tour concret : elle est alors l'opposé de l'âme et de l'esprit : un corps. (de même peut- on voir un jeu de mots dans le vers précédent : [la fable] "Que je m'en vais vous débiter", le verbe pouvant signifier "raconter" ou "découper"). Ces jeux de mots amusent, et entrent dans le registre comique de ce conte ; mais ils ne sont peut être pas purement ludiques. La métamorphose d'une histoire en boudin ne participe- t- elle pas de ce mouvement d'alourdissement du langage qui prend l'opacité de la matière ?...

- Les jeux de mots sur les polysémies d'un terme ne sont p - _- _ as toujours gratuits ; le creusement de sa matière, le passage d'un sens à l'autre ou même d'un son àl'autre permet le transport, inattendu, vers un autre monde. Le conte du Petit Poucet illustre bien l'importance des jeux de mots. L'ogre en est un adepte. Demandant à sa femme d'aller "habiller ces petits drôles [121] " qu'il croit avoir tués, il crée une volontaire confusion entre le registre usuel, où s'habiller signifie se vêtir, et le registre culinaire, où le verbe signifie " "écorcher et accommoder de certains animaux bons à manger [122] ". Un même terme pour deux réalités différentes: d'un côté la banalité d'un geste quotidien, qui peut être un geste d'amour maternel ; de l'autre l'horreur d'un acte de cannibalisme. Derrière l'amour, peut se cacher la mort. De même l'ogre "les dévorait déjà des yeux" : l'adverbe "déjà" jette un trouble sur l'expression figée "dévorer des yeux". Ici, c'est littéralement que l'on peut comprendre l'expression. Le passage du figuré au propre fait jeter un regard neuf sur ce qu'implique cette expression, que l'habitude avait rendue transparente: un amour ou un désir tel, qu'il en est cannibale... Par ailleurs, nous l'avons vu, si, dans la maison de leurs parents, les enfants font "bonne chère" à leur retour de la forêt, ils sont eux- mêmes dans la maison de l'ogre, "chair fraîche". Un même phonétisme recouvre deux situations opposées : les enfants sont sujets chez le bûcheron, et objets chez l'ogre ; d'autre part la bonne chère est signe de convivialité - le terme vient de cara : visage, et signifie au Xlllème siècle la manière de traiter les convives. - alors que la chair rappelle la prédation.Amour et mort, civilisation et sauvagerie sont contenus dans des mêmes termes qui nous font passer, sans prévenir, d'un monde à l'autre. Ils rapprochent des mondes qui n'auraient jamais dû se rencontrer, et jettent le trouble chez le lecteur: l'amour ne contient- il pas une part de mort ?La sauvagerie est- elle définitivement exclue de tout acte social ?...

Ainsi les jeux de mots reposant sur les passages d'un registre à l'autre, homophonies, polysémies... ne sont pas purement ludiques : ils révèlent l'existence d'un monde, celui de l'imaginaire. Loin d'être un rampart contre la sauvagerie, le mot la porte en lui. II en est comme le témoin. Dans le cadre du divertissement, le mot peut de temps àautres s'isoler du discours ; il perd son caractère utilitaire et n'a plus à rendre une idée unique. On considère au contraire toutes ses facettes. Le mot prend une épaisseur d'objet et devient le seul auxiliaire magique pour passer d'un monde à l'autre. Pantoufle de verre ou Botte de Sept Lieues, le mot est véhicule nous y conduit.

il revient à l'imaginaire, il en est la marque et il nous y conduit.

C - VERS LE TEMPS PASSE: AUX SOURCES DU LANGAGE

1 - Les Contes : un itinéraire vers le "Temps Passé"
a) Une régression symbolique

- L'enfant est le destinataire symbolique du conte : pour en saisir la portée, il faut perdre sa raison, sa culture - et ses habitudes - d'adulte ; il faut redevenir enfant . Mais le Conte a également son destinateur symbolique : les Aïeux. Préface des Contes en Vers, Préface des Contes ou Histoires du Temps Passé, incise- ,dans les contes eux- mêmes... Perrault n'a de cesse de rappeler les conditions d'apparition du conte, comme si elles en garantissaient l'authenticité "Le conte de Peau d'Ane est difficile à croire Mais tant que dans le monde on aura des Enfants Des Mères et des Mères- Grands On en gardera la mémoire [123] ".

Deux temps sont mêlés : celui des enfants, le futur, et celui des Mères- Grands, le temps de la mémoire. Le Conte est un retour dans le passé pour ceux qui sont tournés vers le futur. "II y a plus de cinquante que j'ai ouï dire à mon père...", dit le vieux paysan, ouvrant ainsi au prince les portes de son avenir : une belle qui a cent ans... Certains détails soulignent l'anachronisme : celle- ci est habillée "comme Mère- Grand", les instruments jouent des pièces excellentes, "quoiqu'il y eût près de cent ans qu'on ne les jouât plus" ; de même l'usage des archaïsmes, alliés au style "naïf" de l'enfant nous transportent vers le temps passé.

- De même que celui du Prince, le voyage du Petit Chaperon Rouge est un itinéraire à rebours. Celle- ci semble remonter vers le temps passé : la petite fille va du four (sa mère "cuit" des galettes) au moulin (sa grand- mère habite "par- delà le moulin [124] "); de la gestation à la conception (l'anomalie chronologique suivante : sa mère "cuit et fait des galettes, renforce l'idée d'une remontée dans le temps; de la mère à la grand- mère. Une remontée dangereuse, si elle ne s'accompagne pas de bornes: n'est- ce- pas l'interdiction et l'avertissement qui a manqué à la petite fille, dans ce conte d'avertissement ?...

L'itinéraire du regard de la femme de Barbe Bleue va également au rebours de l'ordre attendu : à travers le miroir de sang, celui- ci remonte de bas en haut, de l'effet dernier - la flaque de sang - à la cause première, les différentes femmes mortes de leur curiosité. Si le conte est miroir, ce n'est pas seulement parce qu'il reflète, de façon déformée, et inversée, la réalité ; c'est également parce qu'il va à rebours, qu'il renverse le cours du temps - mais cette régression n'est- elle pas la meilleure façon de saisir notre réalité ?

b) Le temps où signe et image étaient liés.

Le conte est un voyage vers le passé : déjà présente dans la formule : "II était une fois", cette remontée dans le temps semble mise en lumière par Perrault dès le titre de son deuxième recueil : Histoires ou Contes du Temps Passé. Remontée individuelle, d'abord. Les contes se colorent de nostalgie quand le narrateur évoque l'époque où les Nourrices et les Fées racontaient à l'auditeur enfant ces histoires. Ainsi, le temps d'un conte, le lecteur redevient enfant. Le voyage vers le temps passé est un retour aux sources d'apprentissage du langage. Les Fées ( Fata) de la Fable ( Fabula) apprennent à l'enfant in- fans = celui qui ne parle pas) la parole. A l'origine de tous ces mots, on trouve une même racine, for, fari: parler. C'est à la fontaine (étymologiquement : la source) que l'héroïne des Fées va puiser le don de transformer sa parole en pierres précieuses, octroyé par une fée au visage de bonne vieille. Sa parole s'opacifie et se matérialise ; plus mystérieuse et plus puissante, elle devient un objet magique qui a prise sur le monde. Tel est l'univers de l'enfant : celui- ci ne maîtrisant ni le monde, ni le langage, les mots lui sont à la fois étrangers et tout-puissant - magiques.

Un enfant se représente le monde et soi- même par l'existence de son corps, qui est intimement lié au désir (les bonhommes d'enfant, représentent un corps psychique, où la tête et les organes de perception prédominent tandis que leurs jambes, tronc, et bras sont à l'état embryonnaire). Or la satisfaction du désir d'un jeune enfant est toujours hors de soi, puisqu'il dépend de sa mère. Ainsi l'enfant a un rapport au monde de dépendance, passif et amoureux.

- Fascinante, aliénante, évocatrice de jouissance, l'image porte les marques du rapport au monde de l'enfant. Pour permettre l'accès à une conscience de soi et ainsi à la lettre et à la parole, un recul par rapport au monde doit alors nécessairement s'effectuer pour permettre le sublimation de son désir, l'enfant doit apprendre à refouler son corps désirant, et rayer l'image ainsi que la jouissance qu'elle procure. L'écriture naît d'un interdit de représentation du corps, ou du vivant dans lequel le corps aurait pu trouver refuge (selon une représentation anthropomorphique du monde par l'enfant). Par cet interdit, l'image devient signe. Ainsi l'écriture naît de la rature de l'image ; de la disparition de la fascination qu'elle exerçait sur l'enfant. Le monde ne le Ravit plus, il a prise sur le monde, le maîtrise et se maîtrise.

- Mais la lettre a deux faces : si, élaboration de la conscience, elle est le produit du refoulement du corps désirant, elle est aussi présente dans l'inconscient, permettant le retour au grand jour de ce qui est refoulé. Ce qui peut se lire est nié : la valeur d'image de la lettre, prise dans le contexte du mot, de la phrase, du sens, s'oublie au profit de ce qui s'entend et se comprend. Mais sitôt isolée, déliée du mot, de la phrase, du sens général, celle- ci redevient image et délivre la jouissance refoulée.

- Dans le délié, la jouissance apparaît. La conscience en repos qui n'est pas tendue vers un but qu'elle se serait assigné - peut laisser surgir le lapsus. De même, hors de chemin de la raison, le conte est divertissement, chemin de traverse. Le plaisir y surgit ; le corps réapparaît ; la lettre y redevient image. Ainsi le conte nous ramène vers ce temps où le corps était encore présent, où la jouissance n'était pas refoulée, où le langage, magique, fascinait, où le signe était image [125] . Mais le conte est également un voyage vers le "temps passé" de l'humanité. Le prince de ta Belle au Bois Dormant fait une remontée historique de cent ans. Le vieux paysan qui lui parle de la légende du château est la mémoire d'un temps qu'il n'a pas connu - une mémoire aveugle, inconsciente des tenants et des aboutissants de l'histoire (il ne connaît pas la cause du sommeil de la Belle, et met en contact, sans le savoir, le Prince avec son destin.). Un voyage dans le temps où la parole était magique, transcendante à l'homme et toute puissante : "L'arrêt des Fées" gouverne les hommes et crée leur destin. Une remontée vers les sources du langage... A l'aube de l'humanité, signe, son, image faisaient un [126] . Le langage, né en même temps que l'écriture, selon Leroi- Gourhan, n'a pas une origine utilitaire, mais cérémonielle. C'est au cours de cérémonies incantatoires que des sons furent accollés à des signes et des images, pour tenter d'influer sur le monde extérieur. Magique, sacré, à la fois signe et image - ne retrouvons- nous pas la parole des contes, auxiliaire magique ? Une parole où le corps est encore présent, qui lui donne la force de son désir et l'opacité de sa matière.

Ainsi le couple des Aïeux et des Enfants n'est peut- être pas seulement symbolique de la situation d'émission du conte ; ceux- ci sont les deux faces d'une même régression- qu'elle se situe au niveau de l'individu, ou de l'humanité- vers les sources du langage.

2 - L'écriture hiéroglyphique des contes [127]

La langue des contes nous ouvre, un temps, les portes d'un paradis perdu : celui de l'enfance - la nôtre ou celle de l'humanité - où signe et image faisaient un. Cependant, cette langue est écrite - suprême mise à distance du corps. Nul conteur ne nous le transmet, qu'il soit réel ou fictif - il n'y a pas de représentation de conteur, personnage dans le conte, contrairement à d'autres contes comme ceux des Mille et Une Nuits, ou bien les contes fantastiques du XIX ème siècle.

Si la sensualité, le corps, l'image - l'imaginaire, sont évoqués, c'est- à- dire appelés à la présence, ils sont en même temps mis à distance et enserrés dans un espace celui du conte, dans lequel le temps et l'espace sont irrémédiablement séparés du temps et de l'espace de la réalité.

a)       A la conquête de l'écriture

Par ailleurs, de La Belle au Bois Dormant au Petit Poucet, l'on observe une évolution rappelant celle qui va de l'image au signe, vers l'écriture. Le Tragique domine dans La Belle au Bois Dormant: le destin conduit les humains ; l'action des personnages est inefficace contre la parole des Fées ; la Belle est l'objet passif d'un affrontement entre Agresseur - la mauvaise fée - et Donateur - la jeune fée. De même pourra- t- on observer au fil des contes l'apathie fondamentale des héros (jurant significativement avec les héros- type du 4modèle proppien). Point de donateur pour le Petit Poucet : si celui- ci agit, c'est selon son initiative propre ; et son action modifie le cours des choses. A l'apathie des personnages, au sommeil de la Belle s'oppose l'éveil du Petit Poucet. Celui- ci ne subit plus son destin : il le maîtrise [128] . II tracera même celui de sa famille, pour laquelle il achètera des Offices. Avec Le Petit Poucet, les contes se finissent sur une note d'espoir : le tragique disparaît, grâce au travail. Si par ailleurs dans les autres contes, les personnages ont un rapport privilégié à l'image, c'est par la lettre (le signe ou la missive) que le Petit Poucet concquiert sa maîtrise de soi (il devient en effet "courrier" des dames pour leurs amants, ce qui lui vaudra sa fortune.). Si les autres personnages ont un rapport amoureux au monde - le mariage est souvent l'objet de la quête des héros, le Petit Poucet est le messager des amants : hors du rapport amoureux, condition nécessaire du passage de l'image à la lettre.

b) L'image dans l'écriture

Ainsi, nous observons une évolution dans les contes qui va d'un rapport de fascination au monde, sur le mode visuel, à une maîtrise du monde et de soiet à l'accession à l'écriture. Les contes ne sont plus oraux, ils sont écrits, et dans une langue qui ne rappelle en rien l'oral. Cependant le conte est "mémoire", même si elle est aveugle. Si l'image est rayée par l'écriture, elle reste cependant dans l'écrit en mémoire, présente dans un style élaboré . Les contes de Perrault vont dans deux directions opposées : vers le passé des aïeux, et le futur de l'enfant ; aux sources du langage, et vers une écriture classique par excellence. C'est le paradoxe d'une régression vers les Aïeux comme plaidoirie pour les Modernes. Ainsi l'écriture des contes aspire à s'élaborer tout en étant consciente de ses racines.: une écriture qui rappelle la partie inconsciente du processus de langage, qui évoque la fascination par l'image tout en la refusant. Souvenir d'une image dans un monde où elle est biffée, l'écriture de Perrault tente de garder la mémoire de ses racines; c'est ce que nous appellerons l'écriture hiéroglyphique des contes [129] .

c) Utopie d'une écriture consciente de ses racines

Si Perrault évoque - appelle à la présence - un imaginaire, c'est pour tenter de le décrypter: n'est- ce pas là la raison d'être des morales qui suivent les contes, atypiques dans une conte de Fées ? II semble que selon lui la raison puisse dévoiler les mystères de l'imaginaire (ceux- ci ne se laissent- ils pas percer selon le "degré de pénétration de ceux qui les lisent [130] " ?). L'opposition du conte d'Apulée Amour et Psyché et de Riquet à la Houppe est significative de cette foi classique en le pouvoir de la raison. L'énigme "impénétrable" pour Perrault de la fable d'Apulée consiste en ce que l'âme ne doive connaître l'amour - ou le désir : Cupidon. Celui- ci ne comprend pas que Psyché " devrait être heureuse tant qu'elle ne connaîtrait point celui dont elle est aimée, qui est l'amour, mais qu'elle serait très malheureuse dès le moment qu'elle viendrait à le connaître. Voilà pour moi une énigme impénétrable." C'est par le regard de sa Belle au contraire que Riquet, prince sorti de la terre, devient beau. Le regard de la conscience sur le désir souterrain est bénéfique. On peut regarder l'amour sans risque de dissémination.

C'est le caractère particulier du conte qui permettrait, semble- t- il, d'éviter ce danger. La figure emblématique du conteur est peut- être celle du Petit Poucet. Le Petit Poucet, tel Mercure, est à la fois un voleur - il vole les biens de l'ogre pour enrichir sa famille - et un messager - il porte d'abord un faux message de la part de l'ogre, à sa femme, puis de vrais messages des dames de la Cour à leurs amants. Celui- ci ne parle pas, il porte les paroles des autres, en dehors des relations amoureuses. Cependant, à bien observer le message qu'il porte à la femme de l'ogre, on remarque qu'il crée ce mensonge en inversant la réalité souhaitée, et des situations précédemment vécues. Sous couvert de transmettre, le Petit Poucet exprime sa vérité ; mais c'est une vérité inversée, et une création inavouée. N'est- ce pas là le statut du conteur, dont les adaptations sont révélatrices?

Ainsi, la raison semble vouloir rester maîtresse du jeu, chez Perrault : celle- ci s'enrichit du contact avec l'imaginaire, tout en en observant les rouages. II y a cependant une conscience du danger d'une création ex- nihilo, à partir de son propre fond imaginaire. Le regard critique est possible si la création n'est pas sienne. Si dans les contes de Perrault, Orphée n'est pas disséminé après avoir vu Eurydice, c'est peut- être parce qu'il n'a pas de nom et porte un masque.

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Psychosonique Yogathérapie Psychanalyse & Psychothérapie Dynamique des groupes Eléments Personnels

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10 Décembre 2007


BIBLIOGRAPHIE

I - OUVRAGE CRITIQUE SUR PERRAULT

II - OUVRAGES CRITIQUES DE LITTERATURE

III - OUVRAGES D'ETUDE DU LANGAGE

IV - OUVRAGES PSYCHANALYTIQUES

V - OUVRAGE HISTORIQUE

VI - OUVRAGES PHILOSOPHIQUES


 

L'imaginaire des Contes de Perrault Leur rapport à la raison

Caroline Portalès- Auriol

Introduction

I) L'IMAGINAIRE DE PERRAULT HORS DE LA RAISON UN MONDE D'IMAGES

A- UN IMAGINAIRE SANS NOM: La négation d’un Monde

B IMAGINAIRE DE PERRAULT: HORS DU CHEMIN DE LA RAISON, VER N MONDE QUI A SES PROPRES REGLES

C - MODE D'APPREHENSION DU SACRE PAR LE CONTE

II - UN IMAGINAIRE DANS UN MOT ; UN NOUVEAU RAPPORT AU LANGAGE.

A- MAGIE DU MOT.

B- UN LANGAGE PROCHE DU CORPS

C - VERS LE TEMPS PASSE: AUX SOURCES DU LANGAGE

BIBLIOGRAPHIE

I - OUVRAGE CRITIQUE SUR PERRAULT

II - OUVRAGES CRITIQUES DE LITTERATURE

III - OUVRAGES D'ETUDE DU LANGAGE

IV - OUVRAGES PSYCHANALYTIQUES

V - OUVRAGE HISTORIQUE

VI - OUVRAGES PHILOSOPHIQUES

Remerciements

 


Remerciements

Je remercie M. le Pr. G. Mailhos pour la confiance qu'il m'a témoignée en me permettant d'effectuer ce DEA de Lettres Modernes (Université Toulouse- Mirail - 1993) sous sa responsabilité et pour les conseils qu'il m'a prodigués.

Je remercie mon oncle, Antoine Mercadié, dont l'aide m'a été précieuse pour la réalisation matérielle de cet ouvrage; merci également à Catherine Auriol, ma mère, qui m'a généreusement prodigué son temps et son savoir- faire.



[1] Descartes Méditations Métaphysiques. Introduction de la "Méditation Seconde"

[2] Chant 1 v. 48

[3] Chant 1 v. 45

[4]   Chant l v. 39

[5]   Chant 1, v. 46

[6] Les Caractères XI 156

[7] Chant 1 v. 15

[8] Chant I, v, 91- 93

[9] Chant I, v 26

[10] Chant I, v 47

[11] Chant I, v 134

[12] Chant I, v 30, 33

[13] Chant I, v 118

[14] Chant I, v 132

[15] Chant III, v 48

[16] Chant III, v 106

[17] Chant 1, v 59

[18] Chant 1, v 61

[19] Chant 11, v 22

[20] Chant 1, v 41

[21] Chant 1, v 114

[22] Chant 1, v 147- 149

[23] Chant 1, v 39

[24] Chant 111, v 261

[25] Nous n'étudierons pas ici la préface de Griselidis, ce récit étant défini par Perrault comme "nouvelle".

[26] La matière de celui- ci est une "aune de boudin".

[27] voir à ce sujet l'analyse de M. Soriano. in Les Contes de Perrault - Culture savante et Traditions Populaires. Gallimard. TEL 1989

[28] 2gPerrault - Dédicace des Histoires ou Contes du Temps Passé. in Contes. classiques Garniers, 1987 p. 89. - "Il est vrai que les contes donnent une image de ce qui se passe dans les moindres familles". Le terme n'est pas pris ici dans le sens d'image littéraire : cette acception n'existait pas dans le Dictionnaire de I '4cadémie de 1694. L'image est soit une représentation visuelle d'une chose, soit une représentation mentale.Nous garderons dans ce contexte le sens~d'image mentale. Mais qu'elle soit mentale ou visuelle, l'image est avant tout une représentation, un clône de la réalité (on pourra insister sur la proximité avec la chose : "cet enfant est l'image de son père", sa ressemblance est parfaite ; ou sur son éloignement : "cette belle personne est une image" = elle n'est guère animée, la reproduction étant ici synonyme de mort - nous étudierons cet aspect au 1 C (2)). En tant que représentation - proche ou non de la chose, elle n'est pas la chose elle- même. elle est la chose telle qu'elle est perçue par celui qui crée l'image. Ce terme impose déjà donc une distance par rapport à la genèse du conte

[29] voir dédicace des Contes du Temps Passé : à Mademoiselle (Elisabeth Charlotte de Bavière, nièce de Louis XIV) "On ne trouvera pas étrange qu'un enfant ait pris plaisir à composer les contes de ce recueil, mais on s'étonnera qu'il ait eu la hardiesse de vous les présenter".

[30] voir à ce sujet, Ph. Aries. L'Enfant et la Vie Familiale sous l'Ancien Régime. Seuil 1973. Pour illustrer le mot "raison", le Dictionnaire de l'Académie de 1694 utilise un exemple révélateur : "L'usage de la raison ne vient aux enfants qu'à un certain âge".

[31] Absence de culture et de raison... des valeurs que pourraient également incarner le peuple, pour l'honnête homme du XVIIème siècle. Or chez Perrault, peuple et enfant sont souvent liés, comme le souligne M.Soriano op cit. IIlème partie, ch. 8.

[32] Dédicace des Contes du Temps Passé. op. cit. p.89. Je souligne

[33] Le désir de cette connaissance a poussé les héros et même les héros de votre Race jusque dans des huttes et des cabanes, pour y voir de près et par eux- mêmes ce qui s'y passait de plus particulier"Dédicace des Contes du Temps Passé. op cit. p. 89.

[34] Préface des Contes en Vers. Op cit p.3

[35] op. cit. p. 7

[36] voir le Dictionnaire Historique de la Langue Française. A. Ray. Robert 1992 "divertir"

[37] Griselidis. op cit. p.21;de même, c'est en se détournant de son but commercial, répondant au principe de la réalité que Sinbad le Marin, dans les Mille et Une Nuits découvre des mondes féériques qui satisferont son principe de plaisir, cf Bettelheim, Psvchanalvse des Contes de Fées.

[38] Peau d’Ane, op cit p. 67

[39] Griselidis. op cit p. 23

[40] Griselidis. op. cit. p24

[41] Note de Perrault figurant dans la dédicace de Peau d’Ane. op. cit. p.57

[42] La Belle au Bois Dormant" op cit. p.101.

[43] Cendrillon, op. cit. p.158

[44] Le Chat Botté op.cit. p. 139

[45] Peau dAne, op. cit. p. 67

[46] Peau d'Ane, op. cit. p. 69

[47] Peau d'Ane. op. cit, p. 70

[48] L'étymologie même de"Fée ", qui vient de Fatum, atteste ce lien.

[49] Gallimard " Bibliothèque des Idées "

[50] Nous développerons cela en II C.

[51] Cf. A. Ray, Dictionnaire Historique de la Langue Française. 1992. "Sacrer".

[52] Perrault. Dédicace des histoires ou Contes du Temps Passé . op. cit. p. 89.

[53] Le Petit Chaperon Rouge. op. cit p.115.

[54] Dictionnaire de l"Académie de 1694. "voir".

[55] La Barbe Bleue. op. cit.p. 125

[56] Sur cet itinéraire à rebours, voir Il C

[57] "dans ce sang se miraient les corps de plusieurs femmes..." op. cit. p.125

[58] B.Bettelheim. Psychanalyse des Contes de Fées. R. Laffont "Pluriel" - 1976

[59] Le Petit Chaperon Rouge, op. cit.. p. 113.

[60] Le conte des Souhaits Ridicules illustre cette conception selon laquelle une liberté totale ne peut être bénéfique à l'homme.

[61] Cette nécessité de localisation de ce qui fait horreur pour mieux le mettre à l'écart et s'en protéger, a été développée dans l'Histoire de la Folie. M. Foucault. Gallimard "Tel" 1991

[62] 0n notera qu'ici la tour n'est plus le lieu du sacré. Contrairement à la Belle art Bois Dormant, elle est la seule fenêtre, et le seul point de jonction entre cet espace de cauchemar qu'est la maison de Barbe Bleue, forteresse aveugle, et le monde extérieur. Elle est le lieu de la parole et de l'identité (seule Soeur Anne a un nom).

[63] La Barbe Bleue : op. cit. p. 128.

[64] voir I B 2 : "espace de sacré dans le conte"

[65] Peau d’ Ane op. cit.p.63.

[66] Peau d ‘ Ane op. cit p. 65.

[67] Peau d'Ane op. cit. p.64 - l'ambivalence de cette peau est révélée par la rime même qui unit les deux termes diamétralement opposés: "admirable "/" effroyable ".

[68] Peau d'Ane op. cit p. 66

[69] Peau d’Ane op cit p. 68

[70] De même pourra- t- on trouver dans Cendrillon cette dualité du sacré ( la notion d'horreur, de mort et d'ignominie contenue dans "Cendrillon" ou "Cucendron",côtoie la magnificence de la jeune fille en princesse ) et cette nécessité de mise à distance des désirs : distance temporelle - le rêve est borné par l'heure minuit ;et distance spatiale - dont l'importance est soulignée par l'insistance sur le carosse ; on notera qu'à l'aspect réduit d'un fantasme de chambrée, dans Peau dAne, succède l'étendue d'un royaume : l'imaginaire prend de l'ampleur.

[71] Cendrillon. op. cit. p. 157.

[72] La Barbe Bleue op cit p. 124.

[73] Ceci sera plus amplement étudié en II B

[74] Voir l'analyse de R. Debray dans Vie et Mort de l'Image NRF Gallimard 1992.

[75] M. Soriano dans Les Contes de Perrault : Culture Savante et Traditions Populaires, op. cit. consacre toute une partie de son ouvrage à une intéressante étude psychanalytique des jumeaux.

[76] C'est- à- dire que, selon l'expression citée par le Dictionnaire de l’Académie de 1694, elle est "l'image de sa mère"

[77] Nous étudierions ceci en profondeur dans une troisième partie où nous verrions en la personne du Petit Poucet/ Mercure (voleur ou messager), une figure emblématique du conteur.

[78] Peau d'Ane op. cit. p. 61.

[79] Griselidis op.cit. p. 29.

[80] Peau d'Ane op. cit. p. 66, 67.

[81] Voir l'analyse sartrienne sur le processus de l'imagination in L'Imaginaire. Folio "Essais". 1988

[82] Cf V. Propp Morphologie du Conte op.cit.

[83] Boileau, L'Art Poétique. op. cit.Chant 1 v. 46, 47.

[84] Boileau, l'Art Poétique. op. cit. Citant 1 v. 167- 170.

[85] Boileau, L’Art Poétique op.cit. Chant I v.147- 149.

[86] "Boileau, L’Art Poétique. op. cit.Chant 1 N- 153, 154.

[87] Nous le reproduirons malgré sa longueur, car il apparaît comme capital : il donne une genèse mythique très révélatrice d'une conception du langage.

[88] Boileau, L'Art Poétique, op. cit. Chant IV v 133- 150.

[89] Boileau. L’Art Poetique. op. cit. v. 133. Chant 1.

[90] On pourrait dans une troisième partie étudier quel rapport Perrault entretient avec la descente aux enfers, et le regard porté par +Orphée aux enfers sur Eurydice, avec Riquet à la Houppe, et sa comparaison avec Amour et Psyché, le conte d'Apulée

[91] Boileau. L'Art Poétique. op. cit.Chant I v.40, I.

[92] Boileau. L'Art Poétique. op. cit. v. 44. Chant I.

[93] Boileau L'Art Poétique op.cit. Chant IV v 88- 90

[94] Boileau, Art Poétique. op. cit. v 172. Chant IV.

[95] Boileau, l'Art Poétique. op. cit v. 139- 140. Chant III.

[96] Boileau. l'Art Poétique op. cit. Chant 1 : la langue est "révérée" (v.155). elle est "sacrée" (v156). L'auteur est "divin" (v. 161). Chant III : l'art d'Apollon est un "art divin" v. 132. Dans la cité de la langue, le prêtre est ému d'une "divine horreur" (v. 153).

[97] Boileau. l'Art Poétique. op. cit. Chant IV. 159- 160.

[98] Boileau. l Art Poétique. Chant IV. v. 101. 102. 106.

[99] On retrouve cette idée d'un langage qui doit être rempart contre l'image sensuelle au Chant II. v. 177. 178 "au moindre sens impur la liberté l'outrage/Si la pudeur des mots n'en adoucit l'image".De même, dans la lettre à M. de Losme de Montchesnay, datant de septembre 1707 : "l'amour exprimé chastement (...) peut beaucoup contribuer à guérir de l'amour les esprits bien faits, pourvu qu'on n'y répande point d'images ni de sentiments voluptueux".

[100] Nous empruntons l'analyse suivante à M Starobinski. Le Remède dans le Mal Gallimard. Chapitre VI : "Fable et Mythologie au XVIIème siècle- XVIIIème siècle".

[101] Cité par Starobinski - Le Remède dans le Mal. op. cit. p. 235.

[102] Voir V. Propp. Morphologie du Conte. Seuil "Points". 1970.

[103] Voir première partie C- 3- b

[104] Cf J. Austin. Quand Dire, c'est Faire. op. cit. Selon la définition de J. Austin, baptiser, marier, promettre... sont des énonciations perfomatives : elles font quelque chose en s'établissant. L'acte n'est pas parallèle à la parole : il produit par le fait même de dire. Les énonciations perfomatives renouent ainsi avec l'aspect magique du langage.

[105] Riquet à la Houppe op. cit. p. 180.

[106] A. Leroi- Gourhan. Le Geste et la Parole.

[107] Les Souhaits Ridicules op. cit. p. 83.

[108] Les Souhaits Ridicules op.cit.p.83

[109] Un individu fonctionnant sur le mode oral, est quelqu’un dont le rapport au monde est déterminé par l'absence ou la présence de nourriture. Cette perversion est une fixation infantile, correspondant au premier stade de l'évolution psychologique de l'enfant : le stade oral.

[110] Le petit Poucet op. cit. p. 190.

[111] Lettre à Monsieur*** en lui envoyant Griselidis op.cit. p. 49.

[112] Préface des Contes en Vers. op. cil. P. 6.

[113] Descartes. Méditations Métaphysiques. op. cit. IVème méditation.

[114] Descartes Méditations Métaphysiques. op. cit. VIème méditation.Je souligne.

[115] Nous emprunterons cette analyse à R. Debray dans Vie et Mort de L’Image. op. cit. Ch. III.

[116] M. Proust. La Prisonnière.

[117] J’appelle "Sauvagerie", ce qui, chez Boileau, avait été définitivement mis à l'écart, dans les forêts, par le rempart du langage (cf A- 1- b). Par ce rempart, l'homme s'était mis à vivre dans un monde de raison : hors de la cité, la forêt et les bêtes sauvages. Ainsi la sauvagerie est la part de bestialité de l'homme, l'antonyme de la raison et de la cité ; ce qui, chez l'homme, n'est ni conscience, ni culture

[118] La Belle- Mère de La Belle au Bois Dormant rôde dans le château pour y "halener quelque viande fraîche". op. cit. p. 106.

[119] Selon le narrateur, Peau d'Ane avait aperçu le prince qui l'observait par le trou de la serrure car "sur ce point la femme était si drue". Peau d’Ane. op. cit. p. 70

[120] Les SouhaitsRidicules, op. cit. p. 83.

[121] Le Petit Poucet, op. cit. p.194.

[122] Dictionnaire de l’Académie

[123] Peau dAne, op. cit. P. 75.

[124] Le Petit Chaperon Rouge, op. cit. p. 113

[125] Le Geste et la Parole, A. Leroi- Gourhan.

[126] Le Geste et la Parole, A. Leroi- Gourhan

[127] Nous développerons ce paragraphe dans une troisième partie.

[128] La maîtrise de soi semble également être l'objet de la quête de la femme de Barbe Bleue et du Chat Botté, ou maître- chat.

[129] Les Egyptiens utilisaient les hiéroglyphes phonétiquement, tel un rébus. La persistance de ce système, qui aurait pu évoluer vers une stylisation, semble témoigner d' une volonté de préserver une origine de la lettre qui ait une instance inconsciente cf G. Pommier - Naissance et Renaissance de !'Écriture, op. cit.

[130] Dédicace des Histoires ou Contes du Temps Passé.