Pensée asymbolique et

Introspection Descriptive & Echantillonnage Aléatoire (IDEA)

Dr Bernard Auriol

Résumé

Selon  Russell T. Hurlburt et Sarah A. Akhter, « la pensée asymbolique – ou expérience d’une pensée différenciée, explicite qui n’inclut pas l’usage de mots, d’images ni d’aucun autre symbole – est un phénomène fréquent même s’il est peu connu ».

Pour eux, « La pensée asymbolique est un phénomène précis, il ne s’agit pas simplement d’un discours interne inachevé ou d’une image vague ; c’est une des cinq déclinaisons les plus communes de l’expérience intérieure ; les quatre autres étant : le discours intérieur, la vision intérieure, les sentiments et la conscience sensorielle ».
Il est important, au plan théorique de s’assurer si la pensée asymbolique existe de fait car bien des gens, y compris la plupart de ceux qui étudient professionnellement la conscience, croient qu’une telle expérience n’est pas possible.

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La pensée asymbolique

Nous croyons que quelqu’un qui se rend attentif à son expérience intérieure quotidienne, telle qu’elle est vécue à chaque instant, rencontrera souvent des expériences ressemblant à celle que voilà :

Abigail se demande si Julio (son ami qui la prendra pour une sortie dans l’après midi) viendra avec sa voiture ou sa fourgonnette. Ce questionnement est un phénomène explicite, sans ambiguité, objet de pensée : il s’agit de pensée et non d’un sentiment ou d’une simple allusion ; il s’agit de Julio et de personne d’autre ; c’est à propos de la distinction entre la voiture et la fourgonnette de Julio et pas d’une autre distinction quelle qu’elle soit.

Pourtant, il n’y a pas de mots dans son esprit : ni « Julio », ni « voiture », ni « fourgonnette », etc

Plus encore, il n’y a pas d’image de Julio, ou de sa voiture, ou de sa fourgonnette…

De fait il n’y a aucune forme de symbole qui soit expérimentée à ce moment là.

Des auteurs beaucoup plus anciens, comme Alfred Binet , ont donné des exemples très similaires :

Voici cependant un exemple particulier où Armande a expliqué la distinction entre la pensée et l'image. Je lui dis le mot demain. Elle répond : « D'abord, je cherche sans image quel jour ce sera, et ce que nous ferons. Je pense aussi que c'est la veille de jeudi.

    D. Quelles images?

    J'ai eu une image très vague de la salle à manger. C'étaient surtout des pensées.

    D. Dis ce que c'est qu'une pensée.

    R. Ça se traduit par des mots et des sentiments, c'est vague (après réflexion), c'est trop difficile.

    D. Voyons, du courage, explique encore.

    R. Ça se présente de plusieurs manières. Quelquefois brusquement, sans que je m'y attende. D'autres fois succédant à d'autres pensées.

    D. Est-ce que tu te sers de mots pour penser?

R. Quelquefois, mais cela m'est beaucoup plus facile de me servir de mots, c'est plus précis. Je m'aperçois à peine que je pense, quand je ne me sers pas de mots. ». On voit qu'Armande a bien observé l'importance du langage intérieur.

Sur la base d’une méthodologie que nous décrirons plus loin, les auteurs contemporains de Las Vegas, ont montré que ce type d’activité psychique occuperait près d’un quart du temps de l’expérience d’éveil et serait un des traits les plus courants de l’expérience intérieure parmi les cinq types d’expérience qu’ils répertorient :

-         discours intérieur,
-         visualisation intérieure,
-         sentiments
-         conscience sensorielle
-         pensée asymbolique

La plupart des gens, et notamment les spécialistes de la conscience, croient impossible d’expérimenter une pensée dépourvue de symboles.

L’introspection la plus banale vient pourtant, dès le premier coup d’œil, à l’appui de l’existence d’une telle activité : ne serait-ce que lorsque le sujet cherche à retrouver un mot ou un nom propre qu’il a « sur le bout de la langue » et qui pourtant persiste à lui échapper ; ou bien lorsque il se demande comment il pourrait exprimer en mots ce qu’il pense ; il peut même en faire état dans son discours explicite, en préambule d’essais de formulation, dont il prévoit qu’ils seront, malgré tout, insatisfaisants : « comment dire ? ».

Cette petite phrase est, bien explicitement, la description verbale d’un effort qui n’est justement pas verbal sinon d’un point de vue intentionnel. Le sujet sait quelle pensée l’occupe et qu’il veut la manifester. Il se met à la recherche du discours explicite qui en rendra compte !

Réciproquement, un mot qui nous traverse l'esprit, soit en provenance de notre fonds propre, soit perçu d'une source externe, peut nous amener à rechercher une pensée qui permettra de le comprendre ou dont il pourra susciter la création !

De même, le traducteur, à moins de se cantonner à un mot à mot barbare, devra faire du texte verbal de la langue source une pensée qui s’abstrait des spécificités de cette langue, qui se rend dans le domaine d’une pensée asymbolique, pour revenir sur le terrain verbal de la langue cible ; il aura oublié les mots pour en  retrouver d’autres au décours d’une sorte de métanoïa allant d’un jardin au désert et de ce dernier à un nouveau et tout différent jardin !

D'une manière plus abstraite et pourtant fondée sur son univers de chercheur en chrono-psychophysiologie, le Pr Christian Poirel a tiré la conclusion, dans son ouvrage posthume "la neurophilosophie et la question de l'être" [p. 154, isbn 978-2-296-05246-8, L'Harmattan, 2008] que "la pensée peut s'avérer antérieure au langage" et qu' "un contenu sémantique ne saurait se réduire à la logique de sa formulation"

L’ Introspection Descriptive en Echantillonnage Aléatoire (IDEA) ou DES (Descriptive Experience Sampling)

L’idea est une méthode intéressante qui permet de recueillir des « moments d’introspection » par échantillonnage au hasard [1] .

Le sujet dispose d’un récepteur d’appel ou d’un téléphone mobile. Quand l’appareil  sonne (à des moments sélectionnés au hasard), le sujet a pour consigne de se rendre immédiatement attentif à ce qu’il était en train de vivre au moment où la sonnerie a commencé ; il doit aussitôt en prendre note.

Un chercheur spécialisé en idea interviewe chaque soir le sujet à propos d’à peu près six moments « actifs » de la journée. Et ceci se répète sur cinq jours en moyenne. On observe que,

1 -Au cours de son interview, le sujet peut donner plusieurs descriptions  du même échantillon d’expérience. A la différence des notes concernant le « discours intérieur », ces descriptions diffèrent du point de vue des mots (tout en conservant la même signification).

2  -Au cours de l’interview, le sujet peut se montrer désemparé par rapport à la description qu’il doit faire de sa propre expérience. Il craint que faire état d’une pensée dépourvue de symbole paraisse étrange ou invraisemblable.

3  -Même si on donne au sujet d’autres perspectives d’interprétation de son expérience, il reste ferme et maintient se description.

4       -Parfois la « pensée asymbolique » n’est qu’une partie d’une expérience plus complexe ; elle peut inclure d’autres pensées concomitantes de type également asymbolique, mais aussi des visualisations intérieures, des sentiments, s’associer à, ou être suivie, d’un discours intérieur, etc.

Le penser asymbolique : analyse du phénomène

La pensée asymbolique désigne l’expérience d’une pensée  explicite et bien différenciée qui n’inclut pas l’expérience de mots, d’images ou d’aucun autre symbole.

1 – Le penser asymbolique est un phénomène bien distinct et spécifique : ce n’est pas un aspect relevant de quelque autre phénomène ; ce n’est pas un processus incomplet, inachevé, vague, défectif ou implicite. Il ne s’agit pas de subsidiarité à l ‘égard d’un autre phénomène.

2 – C’est un phénomène « sui generis » clairement observable, qui apparaît immédiatement sur la scène de la conscience et qui est directement appréhendé. Il n’y a aucun besoin de l’inférer ou de le déduire.

Il peut exister ou non quelque processus organisationnel sous-jacent à cette expérience, ou qui en soit la cause, ou bien dont elle soit elle-même la cause. Russell Hurlburt et Sarah Akhter ne prennent pas position à ce sujet. Il s’agit d’un phénomène dont on fait l’expérience, non d’un élément faisant partie d’une vue théorique quelle qu’elle soit.

3 – la pensée asymbolique est expérimentée comme une façon de penser et non comme un sentiment, une intention, une allusion, un événement kinesthésique ou sensoriel.

4      – le contenu d’une pensée asymbolique est explicite : on sait clairement de quoi il s’agit.

5      -une pensée asymbolique est bien différenciée, elle n’est pas vague ou généralisée, ne se réduit pas à une vague intuition.

6      -le contenu d’une pensée asymbolique est intégralement dans l’expérience qu’on en a : il ne s’agit pas d’un simple titre dont le chapitre serait inconscient !

7 – une pensée asymbolique se présente toute en même temps, comme une unité : il n’y a pas de déploiement spatial, de  déroulement séquentiel ou rythmique

Controverses historiques concernant la pensée et l’ image

Les recherches sur la Pensée Asymbolique semblent constituer une sorte de retour [2] aux débats d’il y a un siècle sur la pensée sans images [3] . Mais le débat remonte très loin !

  1. Chez Démocrite d’Abdère (460 -370 av. JC)  et chez Épicure (341 -270 av. JC)  , l’image est une chose matérielle, un simulacre provenant d'un corps dont il garde l'apparence et les caractères spécifiques.
  2. l'acte pur des Scolastiques
  3. l'intellection de Descartes,
  4. B. Erdmann : distinction de la pensée formulée et de la pensée

informulée,

  1. Husserl avec sa théorie de l'intention.
  2. Marbe (1901), (Allemagne), catégorie nouvelle qu’il appelle, d'une expression empruntée à Mayer et à Orth, des « attitudes de la conscience » (Bewusstseinslagen)
  3. David Hume (1711 -1776) tend à réduire l'entendement humain à l'ensemble des idées, et l'idée n'est, pour lui, qu'une copie de l'impression sensible : l’idée n’est qu’une image. Pour Hippolyte Taine (1828 -1893), l’image se réduit à une sensation affaiblie [4] . L’image est comparable à un cliché, un « atome mental ».
  4. William James (1842 -1910)  a combattu l'atomisme mental et voit dans la vie intérieure, une mélodie dont toutes les parties s'entre -pénètrent, une continuité ininterrompue.
  5. Pour Henri Bergson (1859 - 1941) lui aussi, il n'y a pas d'éléments indivisibles, le changement est la seule réalité psychologique : « Les faits de conscience, même successifs, se pénètrent, et, dans le plus simple d'entre eux, peut se réfléchir l'âme entière » « Sen­sations et goûts m'apparaissent comme des choses dès que je les isole et que je les nomme, et il n'y a guère dans l'âme humaine que des progrès [5]  ».
  6. George Berkeley (1685-1753) nia purement et simplement la possibilité de l'idée abstraite. Tout ce qui existe est entièrement déterminé, dans l'esprit aussi bien que dans la nature.

« Je peux, dit-il, imaginer un homme à deux têtes, ou la partie anté­rieure de son corps jointe au corps d'un cheval. Je peux considérer la main, l’œil, le nez, l'un après l'autre, abstraits ou séparés du reste du corps. Mais, quelle que soit la main ou quel que soit l’œil  il faut qu’ils aient une forme, une couleur particulière. De même, mon idée d’homme doit être l'idée d'un homme blanc ou noir ou basané; droit ou contrefait, grand ou petit ou de taille moyenne. Je ne peux par aucun effort de pensée concevoir l'idée abstraite » (Principes de la Connaissance Humaine, Introduction). 

Il reprend le nominalisme de Guillaume d'Occam que ce dernier avait opposé à la théorie thomiste de l’abstraction (Thomas d’Aquin, 1225 - 1274).

  1. Par l'introspection expérimentale, Alfred Binet (1857-1911),  puis les psychologues de l’Ecole de Würzburg [6] (Watt, Messer, Bühler) ont mis en lumière l’existence d'images vraiment indéterminées, contrairement à ce que croyait Berkeley.

On a pu prouver expérimentalement qu'il existe des images indéterminées. Taine lui-même en avait signalé quelques unes. Dans son Étude expérimentale de l'In­telligence, Binet en découvre un grand nombre. Elles s'observent très aisément sans « aucun effort de pensée » et même surtout quand on s'abstient de cet effort et qu'on les prend à leur première apparition à la conscience, avant qu'elles n'aient eu le temps de se développer et de se préciser.

On peut imaginer un homme sans voir s'il est grand ou petit, brun ou blond, s'il porte ou non une cravate, une procession sans se rendre compte si ce sont des hommes ou des femmes qui suivent le dais ni combien il y en a, un bouquet de fleurs sans savoir s'il se compose de roses ou de marguerites, si elles sont rouges ou blanches, etc.

Nous avons constaté — et je crois bien que ce sont là des faits dont il est impossible de douter — que certaines pensées concrètes se font sans images, que, dans d'autres pensées l'image n'illustre qu'une toute petite partie du phénomène, que souvent même l'image n'est pas cohérente avec la pensée; on pense une chose et on s'en représente une autre.

C'est surtout le langage intérieur qui exprime bien les démarches de notre pensée; si les mots sont inférieurs en un certain sens aux images, comme aux perceptions, car ils sont loin d'en exprimer toutes les nuances — la description la plus minutieuse d'un caillou n'épuisera jamais tout ce qu'on y peut discerner — en revanche, les mots expriment beaucoup mieux, avec toutes les ressources de la syntaxe, les liaisons de nos idées (l).

Dans les réponses de nos fillettes, expliquant ce qui leur est venu à l'esprit après l'audition d'un mot ou d'une phrase, on trouve très souvent des traces de ce langage intérieur, dans des expressions comme celle-ci : je me suis dit. Du reste, les deux enfants ont remarqué explicitement qu'elles pensent avec des mots.

Conséquemment, on a pu supposer que, dans les parties où elle se passe d'images, la pensée se compose essentiellement de langage intérieur, elle serait un monologue.  C'est ce qu'a supposé et dit comme en passant William James, ce grand psychologue intuitif qui a si profondément étudié le mécanisme de la pensée. Lui aussi il a été frappé de constater quelle petite part l'image prend dans la pensée (2), bien qu'il soit arrivé à cette conclusion surtout par des raisonnements théoriques, et rarement par des observations; c'est la seule critique que je puisse faire à son beau chapitre sur « The Stream of Thought ».

Citant l'observation curieuse d'un de ses amis qui put raconter le menu de son repas, et ce qu'il y avait sur la table, parce qu'il le sait, et sans rien visualiser de la table et des plats, il suppose que cette description se fait uniquement en mots et que les mots sont dans ce cas particulier, les substituts des images absentes (1). Il donne cette interprétation sans insister.

S'il avait examiné la question un peu plus longuement, un esprit fin comme le sien se serait aperçu que l'explication est tout simplement impossible. A moins de supposer que le convive a appris par coeur le menu de son repas, et le récite mentalement de mémoire, il faut bien admettre qu'il a d'abord eu la pensée de chaque plat, avant d'en penser le mot; la pensée doit nécessairement précéder le mot.

On peut faire la même remarque à propos de beaucoup des observations que nous avons recueillies.

Rappelons quelques exemples. Armande, à qui j'ai dit le nom de F..., pense à cette personne, elle pense que cette personne n'est plus ici (chez nous), mais a changé de domicile; elle a donc une pensée assez complexe, qui se rapporte à son domicile, à son existence. Cette pensée, de quelle nature est-elle? D'une part, elle est dépourvue d'images sensorielles; Armande dit qu'elle ne se représente rien; d'autre part, si en réalité elle s'exprime par des mots, ce qui suppose des images verbales, il est bien certain que les images verbales ne sont qu'une expression de la pensée déjà amorcée; la pensée est antérieure; pour qu'Armande me dise ou se dise que « F... n'est plus ici, mais ailleurs », pour qu'elle trouve cette phrase, il faut qu'elle ait eu d'abord la pensée correspondante, si atténuée que soit cette pensée.

Ainsi, c'est une pensée qui se forme sans images, et même sans images verbales. Voilà le point important. De même, il faut admettre que bien des réflexions qu'une personne fait spontanément supposent une pensée antérieure aux mots qui l'expriment, une pensée dirigeant les mots et les organisant.

Ceci soit dit sans diminuer en rien l'importance du mot, qui doit singulièrement influencer, par choc en retour, la nature de la pensée. A propos d'un autre exemple elle dit, parlant du sentiment de la négation, qui précède chez elle la négation verbale : « Ce sentiment assez vague, mais dont je suis sûre, c'est une pensée sans mots. »

Autre exemple encore:

— D. Quand auras-tu 22 ans?

— R. Dans dix ans.

— D. Epluche cette réponse.

— R. D'abord il y a la question qu'il a fallu que je comprenne. Puis il a fallu que je calcule. Puis j'ai eu le sentiment qu'il fallait que je réponde dans dix ans. (Après réflexion) La pensée, je ne m'en rends pas compte, mais je me rends compte de ce qu'elle me fait éprouver. »

Je suis bien certain de n'avoir fait aucune suggestion, n'ayant sur cette question délicate de la pensée sans paroles aucune idée préconçue.

De ces conversations, il semblerait résulter que la pensée sans paroles est connue comme un sentiment, et on se rend compte surtout qu'on l'éprouve, beaucoup plus qu'on ne sait ce qu'elle est.

Je suppose que le mot, comme l'image sensorielle, donne de la précision à ce sentiment de pensée, qui sans ces deux secours, celui du mot et celui de l'image, resterait bien vague.

Je suppose même que c'est le mot et l'image qui contribuent le plus à nous en donner conscience; la pensée est un acte inconscient de l'esprit, qui, pour devenir pleinement conscient, a besoin de mots et d'images. Mais quelque peine que nous ayons à nous  représenter une pensée sans le secours des mots et des images — et c'est pour cette raison seulement que je la dis inconsciente — elle n'en existe pas moins, elle constitue, si l'on veut la

définir par sa fonction, une force directrice, organisatrice [...].

12.                   La phénoménologie et l’ « intention imageante »

L’analyse psychologique semble dissoudre la substance même de l’image, qui devient l'ombre de la perception, quelque chose de fuyant et d'évanescent. Certains auteurs, comme Alain, vont jusqu'à en nier l'existence. Lers phénoménologistes à la suite de Husserl nient l’existence de l’image statique. Il n'y a, selon eux, que des « intentions imageantes ».

Par intention les phénoménologistes entendent la direction de la conscience vers un objet qui est par principe hors la conscience, qui lui est transcendant.

Pour eux, toute conscience est la conscience de quelque chose.  è NON

L’image dit M. Sartre, en devenant une structure intentionnelle, passe de l'état de contenu inerte de conscience à celui de conscience une et synthétique en relation avec un objet « transcendant ». (L.'Imagination, 147).  Transcendant en ce sens que lorsque je pense à mon ami Pierre. Il est l'objet vers lequel se dirige ma pensée; mais il est par définition hors de ma conscience.

Dès lors il y a lieu de se demander quels sont les rapports de la pensée et de l'image. On peut les concevoir de trois manières.

-          Ou bien on réduira le contenu de la pensée à des représentations d'origine sensible.

-          ou bien on admettra que la pensée peut se suffire à elle-même;

-          ou enfin, on fera de l'image le signe ou le symbole de la pensée.

Le conceptualisme de Kant ou la pensée par règles

Il existe pour Kant,

d'un côté des concepts, au moyen desquels la pensée organise le divers de la connaissance sensible,

d'un autre côté cette diversité elle-même, l'intuition sensible,

enfin, entre les deux, des schèmes dont chacun est une méthode pour représenter un concept dans l'intuition [7] . […]

Kant reconnaît en outre l'existence de schèmes géométriques comme celui du triangle, ou empiriques comme celui du chien.

Bien qu'il définisse le schème géométrique ou empirique comme la représentation d'une méthode, il y voit une méthode beaucoup plus qu'une représentation, un procédé pour construire une multitude d'images différentes, par exemple du chien ou du triangle, quelque chose qui, se déroulant dans le temps, ne possède encore aucune détermination spatiale et qui est donc susceptible d'en revêtir une infinité.

Le schème est un universel, dont l'universalité n'est pas représentée, mais jouée: c’est une règle, non un modèle; un modèle est tel ou tel, mais une règle peut être universelle.

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Le concept et l’Ecole de Würzbourg.

Au lieu de ramener le concept à une méthode ou à une image, on peut essayer de le réduire à un sentiment.

Pourquoi le concept ne serait-il pas ce qu'on appelle le sens d'un mot, c'est-à-dire, psychologiquement, ce sentiment intellectuel qui accompagne l’énoncé ou l’audition du mot et semble faire corps avec lui ? Lorsqu'on prononce devant moi le mot justice ou que je le prononce moi-même, je sais ou plutôt je sens tout de suite ce qu'il veut dire, il s’agit d’une sorte de sentiment intellectuel.

Le sens entre dans la catégorie des pensées sans images, pensées riches de contenu implicite, qui rassemblent en elles un savoir souvent étendu et prêt à se développer.

Dans tous les cas, ce sentiment déborde l'image, contient du non-représenté, de l'inexprimé, parfois de l'inexprimable. Il est l'anticipation d'une pensée reconnue ou identifiée avant d'être exprimée, et qui ne méritera tout à fait le nom de pensée que lorsqu'elle se sera incarnée dans une représentation ou revêtue de mots.

1 – Mais la « pensée sans image » était conçue par les introspectionnistes de Würzburg comme une composante du processus de pensée.

A la recherche de la pensée pure

Par réaction contre la psychologie sensualiste du xix° siècle, qui admettait sans discussion que toute représentation est une image et que nous ne pensons que par images, Binet et les psychologues de Wûrzbourg se sont demandé s'il n'existait pas une pensée pure. Pour Albert Burloud, la vraie question est de savoir :

1 ° s'il n'y a pas d'autres éléments de pensée que les qualités sensibles;

2° si ces autres éléments ne jouissent point, par rapport à elles, d'une large indépendance.

Or il n'existe guère, en dehors d'elles, qu'une catégorie d'éléments capables de fournir un contenu à la représentation, et ce sont les relations.

Mais l'idée que les relations puissent être représentées ou pensées en elles-mêmes se heurte à l'idée qu'un rapport est dépourvu de toute individualité, qu'il n'est autre chose qu'un lien entre des termes qui lui préexisteraient et que, les termes enlevés, il ne reste rien.

Pour A. Burloud, cette opinion n'est qu'un préjugé : les termes ôtés, il reste les relatifs, par exemple le grand et le petit, le double et le simple, le haut et le bas, la droite et la gauche, la cause et l'effet, le donnant et le donné, etc. Il semble évident pour lui que, s'il existe des représentations abstraites, elles doivent avoir pour contenu des relations. Le vrai problème est alors de savoir comment, dans les représentations conceptuelles, les rapports sont donnés à la conscience.

 

Les expériences anciennes de Ribot

Ribot (Voir son Évolution des idées générales) a tenté de résoudre ce problème en présentant à ses sujets une série de termes généraux et en leur demandant de dire ce que chacun d'eux leur suggérait immédiatement. Cette méthode ne donne selon A. Burloud que de médiocres résultats :

Les uns signalent ou décrivent une image particulière ou abstraite, directe ou symbolique;

d'autres donnent une définition généralement incorrecte, surtout si la sujet est un enfant;

d'autres encore déclarent, en particulier lorsqu'il s'agit de mots très abstraits comme cause, loi, etc.. qu'ils ne se représentent rien. Sur les 900 et quelques réponses recueillies, avoue Ribot celle qui se rencontre le plus fréquemment est « rien » (op. cit.; 145).

Certaines données psychologiques ne se dévoilent qu'à une sorte d'introspection de type bergsonien [8] qui commence par écarter de son objectif les préjugés qui les masquent,

comme le préjugé berkeleyen que les images sont aussi déterminées que les choses,

ou le préjugé que les rapports ne sont que des dépendances de l'image,

ou encore qu’il n’est pas de pensée sans symbole.

d’après A. Burloud, (1948) Psychologie, Paris, Hachette.

 

 

Pourquoi, si souvent, le concept se dérobe-t-il à la conscience claire, pourquoi tant de sujets déclarent-ils, à l’énoncé d'un terme général, qu'ils ne se représentent rien ?
1° les notions implicites.
  • Observons d'abord que toute pensée actuelle s'accompagne d'un contexte psychologique latent, d'un ensemble de virtualités dont nous savons qu'elles sont présentes en nous sans en avoir une perception claire ou même sans en avoir aucune perception. Ces potentialités ont une telle importance que, pour beaucoup de psychologues, le concept se confond avec elles : il n'est pour eux qu'un ensemble d'images virtuelles ou de jugements virtuels.

  • Nous n'avons pas toujours besoin, quand nous nous servons d'un terme général, d'en expliciter le sens, nous nous contentons souvent du savoir implicite, du sentiment intellectuel attaché à ce mot. Toute pensée, quelle qu'elle soit, comprend des éléments qui se situent sur des plans de conscience différents, les uns au foyer de la conscience; les autres dans ses marges ou dans le pré­conscient.

 

Définition du schème

Il convient de noter que le singe incapable de parler peut accéder à une pensée non-verbale et à une action qui en découle. Il y a acquisition de la pensée d’une figure géométrique abstraite qui n’est pas faite de mots. Il y a abstraction, de nature iconique et qui pourtant ne peut être réduite à une simple image.

« La formation du schème.

M. Louis Verlaine [9] présente à un macaque deux objets plats entre lesquels il doit choisir : l’un, de forme triangulaire, cache un ver de farine; sous l’autre, de forme non triangulaire, il n'y a rien. Le singe doit soulever le premier pour avoir l'appât. On fait un grand nombre d'expériences en faisant varier chacune des figures :

    1. dans sa situation (on met le triangle tantôt à droite, tantôt à gauche de la figure négative, en s'arrangeant pour que l'interversion soit aussi irrégulière que possible)
    2. dans son orientation (ont place la base du triangle à droite on à gauche, en-haut où en bas);
    3. dans sa grandeur (figures grandes, moyennes, petites);
    4. dans son degré de luminosité (figures noires, blanches, grises);
    5. dans sa forme (on utilise des triangles équilatéraux, obtusangles, acutangles, rectangles et, comme figures négatives, des cercles, des trapèzes, etc.).

A une période de dressage, pendant laquelle l'animal procède au hasard et effectue autant de réactions incorrectes que de réactions correctes, succède une autre période où il réagit toujours correctement : nous dirons que le schème du triangle s'est installé à ce moment dans son esprit. » (A. Burloud)

 

Les implexes

Toutes les idées-forces ne se réduisent pas à des schèmes. S'il existe un schème de la hache, ou de la lime, ou de la scie, il n'existe aucun schème de l'outil. Pas davantage du meuble, ou de l'animal, ou du vivant, du juste, ou de l'injuste. Et pourtant un enfant sait faire encore un usage correct ou à peu près correct de ces idées sans être capable d'en donner une définition adéquate, ni même souvent d'en trouver le nom.

Des enfants de cinq à six ans rangent parmi les outils un sécateur, une hache, une scie, une lime, etc. sans que parfois le mot outil ne se présente à leur esprit.

Ce n'est pas le mot qui éveille l'idée, mais l'idée qui éveille le mot. [à rapprocher peut être de la remarque rogérienne selon laquelle nous ne pouvons réellement apprendre qu’en expérimentant. La théorie devient alors utile pour conceptualiser ce que nous avons constaté.]

D’autre part, tous les enfants que nous avons soumis à cette expérience ont le sentiment obscur, mais très net que ces instruments sont destinés à un travail spécial, celui de l'artisan : ils refusent de laisser parmi les outils un fusil, une clarinette, un stylographe, même quand on leur fait observer qu’il y a des gens qui travaillent avec. Le concept d'outil a donc pour eux un sens bien défini.

D'autre part, quand on interroge les enfants sur ce sens, on n'obtient que des réponses inadéquates,

- soit parce qu 'elles sont insuffisamment déterminées : un outil, c'est pour travailler,

- soit parce qu'elles sont, au contraire, surdéterminées: « ça sert à bêcher la terre », « ça coupe », « ça a des dents ».

Définition de l’implexe

On peut appeler de telles idées des implexes [10] . L'implexe est une sorte de prénotion, une idée qui n’existe en nous qu'à l'état de disposition ; c’est un ensemble de rapports contenus, « impliqués » dans des expériences ou images particulières dont ils commencent à se dissocier fonctionnellement, auxquelles ils deviennent sous-jacents.

Au moyen de ces rapports fonctionnant comme intentions et se projetant dans le sensible, nous assimilons désormais à ces expériences ou images anciennes des expériences ou images nouvelles, soit que nous donnions à celles-ci le même nom qu'à celles-là, soit que nous y réagissions de manière analogue. Il y a ainsi un implexe de l'outil, un implexe de l'animal, un implexe du vivant, des implexes du joli, du beau, du sublime, du juste et de l'injuste.

La formation de l'implexe.

Dans des expériences conduites d'une manière analogue, Mr Verlaine invite le singe à choisir entre deux objets dont l'un est ou a été quelque chose de vivant et dont l'autre a toujours été quelque chose de non­vivant.

Voici quelques-uns de ces couples : tube de vaseline-oiseau; grenouille-bouchon; pomme de terre-agitateur; feuille d'épi-boîte d'allumettes; carré de cuivre-patte de lapin.

Sur vingt et une épreuves de ce genre, le singe a donné dix-sept réponses correctes, parmi lesquelles il faut compter les dix dernières.

Ces résultats sont à première vue extraordinaires et semblent témoigner d'une faculté d'abstraction fort supérieure à celle des enfants de neuf ans [11] .

On peut supposer une sorte d'association polarisée : les représentations de l’animal tendent à se grouper ou à se dissocier, selon qu'elles sont conformes ou non conformes à un intérêt fondamental.

Par exemple il doit exister pour le singe deux catégories de choses : celles qui se mangent et celles qui ne se mangent pas. Mais des intérêts autres que nutritifs peuvent contribuer à polariser les associations : l'attention de l'animal se bande spontanément vers tout ce qui se meut, tout ce qui frémit au vent, tout ce qui palpite, soit qu'il éprouve de la curiosité à l'endroit de ces choses, soit qu'il flaire en elles quelque danger. Or toutes ces choses sont de l'ordre de la vie.

Les végétaux, que les enfants excluent ordinairement de la catégorie des vivants, sont étroitement associés à la vie animale, plus particulièrement a celle du singe, qui habite dans les arbres, se nourrit de fruits, tressaille au craquement des branches ou au bruissement des feuilles.

L'implexe du vivant est, dans l'âme du singe, l'ensemble des rapports qui unissent l'animal à la plante, l'arbre à la feuille et la feuille au fruit; il est fait de ces rapports fonctionnellement séparés des expériences particulières où ils ont été perçus, ayant acquis, soit au cours du développement individuel, soit plutôt avec le concours de l'hérédité, une certaine autonomie et se manifestant, à la manière d'une constellation associative, par des sélections dans le concret.

 

Pour les adversaires de l'Ecole de Würzburg (Titchener, etc), la « pensée sans image » n’existe pas : il suffirait d’être plus attentif pour débusquer au moins un faible élément d’imagination. Les observations qui font état d’une pensée asymbolique n’ont tout simplement pas su mettre en évidence des images réelles quoique extrêmement faibles qui lui serait inhérente.

Monson et Hurlburt (1993) ont montré que, pour l’essentiel, ces deux camps étaient d’accord sur ce qu’on peut observer sous le nom de « pensée sans image » mais qu’ils s’opposaient sur l’interprétation du fait.

Russell T. Hurlburt et Sarah A. Akhter font observer que la « pensée sans image » et la « pensée asymbolique » concernent le même phénomène dont on peut donner plusieurs interprétations.

Descriptions par les théoriciens modernes d’une pensée asymbolique

-         la pensée non-iconique de Siewert (1998)

La pensée non-iconique de Siewert (1998), c’est quelques mots en discours subvocal, ce que nous pourrions appeler des « mots clefs », dans le sens plutôt vague d’une esquisse diagrammatique, et peut être quelque imagerie visuelle ou kinesthésique. Il y a aussi, d’habitude, un sentiment coexistant de satisfaction.

Horgan et Tienson (2002), et aussi Pitt (2004) sont souvent amalgamés avec Siewert (1998) en ce qu’ils soutiennent l’existence d’une pensée asymbolique.

C’est exact si on précise que, tandis que la pensée non-iconique de Siewert inclue vraiment le phénomène que nous décrivons comme une pensée asymbolique, ce n’est pas du tout le cas de Horgan et Tienson ou Pitt.

La phénoménologie cognitive de Pitt accompagne, caractérise ou conditionne, un processus verbal, alors que la pensée asymbolique est un phénomène séparé, non lié ni soumis à n’importe quel autre phénomène.

A propos de la présupposition que toute pensée est faite de mots

Le béhaviouriste ne se fait pas un mystère de la pensée. Pour lui, penser est un comportement, une organisation motrice, tout comme jouer au foot ou au rugby. Il s’agit d’une activité musculaire, celle qui consiste à parler. Penser ce n’est ni plus ni moins que parler, mais en parlant avec une musculature dont on ne constate pas l’action  (Watson, in Watson & MacDougall, 1929, p. 33)

Carruthers (1996) dénie l’existence d’une pensée asymbolique. Il accorde qu’on a souvent des pensées qui n’impliquent ni image ni mot, mais il refuse l’idée que ces pensées soient conscientes. Les sujets, manquant d’accès immédiat à leurs raisons, s’engagent dans une interprétation rétrospective instantanée, s’attribuant à eux-mêmes les pensées ou sentiments qu’ils croient qu’ils devraient avoir dans ces circonstances et qui donneraient sens à leur comportement. (Carruthers, 1996, p. 242). De fait, l’étude par échantillonnage diffère nettement de l’introspection dans un fauteuil propre à Carruthers. C’est ce qui explique qu’elle permette de mettre en évidence la pensée asymbolique ce que Carruthers échoue à faire.

Mais, à supposer que Carruthers ait raison, la même critique pourrait s’appliquer à toutes formes d’observation introspective : discours intérieur, images, etc.

La pensée asymbolique n’est pas, comme Carruthers semble le croire, l’absence d’un phénomène. Les sujets n’en font pas simplement inférence, ils se perçoivent dans l’acte de penser sans mot et sans image.

Pensée "asymbolique" et point de vue Psychanalytique

On doit insister sur le fait que tous les travaux dont nous débattons ici s'appliquent à une étude de la conscience, fut elle liée à des phénomènes sub-conscients, non-conscients de manière explicite mais qui pourraient être inéférés directement à partir du vécu conscient. Le débat étant relatif à l'observation de phénomènes conscients ne permet pas de se prononcer sur les racines inconscientes - ou même pré-conscientes au sens de la psychanalyse - des phénomènes observés par l'introspection quelle que soit sa forme. Le discours de l'analysant sur le divan déroule un fil verbal qui peut s'interrompre - parfois très longtemps - sans qu'on ait à rejeter l'existence d'un penser conscient concomitant, qu'il soit de type verbal, visuel, sonore, émotionnel ou de type "asymbolique". L'absence de verbalisation est en rupture de la consigne (la règle fondamentale de l'analyse) et cette rupture peut légitimement s'attribuer dans la plupart des cas à une résistance vis à vis du processus analytique, alors que la survenue en dehors de ce cadre analytique, pendant 25% du temps d'éveil, d'une pensée asymbolique est un phénomène naturel qui n'exige pas d'interprétation particulière au niveau psychanalytique.

Neuro-sciences et pensée asymbolique

Il serait utile d’explorer ce que la littérature neuro-physiologique peut dire de l’aphasie et de ses frontières. Certaines lésions s’accompagnent-elles d’une pensée sans possibilité de la mettre en paroles ? Il s’agirait de quelque chose comme une aphasie à la fois perceptive (Wernicke) et motrice (Broca) avec conservation d’une forme de pensée dont le sujet manifesterait l’existence par des actes intelligents ou qu’il pourrait décrire « après-coup », lors de la récupération du langage ?

Pensée asymbolique et conscience vide de pensée

La pensée asymbolique revient-elle à une absence de pensée ? Certainement pas puisque lorsqu’ un sujet parle de l’absence de pensée, il l’exprime avec précision et remarque qu’il ne pensait pas du tout, quoique étant éveillé (cf. état d'éveil paradoxal). Il n’appelle pas cela une pensée asymbolique, une pensée sans mots ou images ; il dit simplement qu’il ne pensait à rien du tout.

Conclusion

Hurlburt a expliqué (Monson & Hurlburt, 1993; Hurlburt, Heavey, & Seibert, 2006) qu’une partie des raisons qui ont fait rejeter l’introspection il y a un siècle pourrait résider en l’échec des « introspecteurs classiques » à maintenir une distance suffisante entre l’observation des phénomènes et la tentative d’explication qu’ils cherchaient à en donner. Tentative qui apparaît dès lors comme une tentation !

Russell Hurlburt et Sarah Akhter acceptent la possibilité que, au niveau d’un substrat éventuel, tout acte de penser soit en mots, y compris celui qui serait accompagné d’un phénomène de pensée asymbolique ; mais de la même façon ils revendiquent la possibilité opposée.

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17 Août 2008

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Annexes

WurzBurg

On range sous l'appellation générique d'Ecole de Würzburg un certain nombre d'auteurs qui se sont influencés réciproquement ou ont travaillé de concert :

Le Professeur Külpe, de l'Institut de Wurzbourg, Betts sur la répartition et les fonctions de l'imagerie mentale (l), Moore (2), Aveling (3) et English (4) sur l'abstraction, Grünbaum (5) et Schwiete (6) sur le concept, Michotte et Ransy (7), Michotte et Portych (8) sur la mémoire logique, Bovet (9) sur le jugement et de très nombreux articles de la Psychological Review sur la compréhension des mots

A. Burloud résume ainsi les travaux de l’Ecole de Wurzburg :

Questions

1° Quels sont les rapports de la pensée avec l'image ? Existe-t-il une pensée pure (non-imagée et non formulée)?

Dans l'affirmative, comment se comporte t-elle à l'égard des images ? Est-ce à celle-là ou à celles-ci que revient le premier rôle dans l'idéation ? La pensée est-elle une suite de l'image, ou l'image de la pensée ?

2° Quels sont les éléments spécifiques de la pensée pure et quels sont les principaux types de pensées ?

3° Comment concevoir, quand on fait abstraction de toute théorie physiologique ou métaphysique et qu'on se tient aussi près que possible des faits, le mécanisme de l'idéation, la causalité de l'intelligence, la pensée comme activité ?

Matériel et méthode

Le dispositif, fort simple, comprenait, comme dans les expériences de Scripture et de Münsterberg, outre l'appareil de présentation, en l'espèce celui d'Ach, le chronoscope de Hipp (horloge électrique dont l'unité est le millième de seconde) et une clef vocale.

Le mouvement du « change-cartes » d'Ach, en faisant apparaître le test, ouvrait un courant qui mettait en marche l'aiguille du chronoscope; dès que la réaction commençait et que la parole du sujet faisait vibrer la membrane qui ferme l'entonnoir de la clef vocale, le courant était coupé et l'aiguille s'arrêtait. On pouvait ainsi mesurer avec une très grande précision le temps de l'épreuve.

Le travail de Watt,

Watt a examiné le plus simple des phénomènes de l'idéation, l'évocation dirigée ou l'association logique;

"en ce qui concerne l'induit, le sens apparaît souvent avant le nom. Le sujet III constate qu'il a eu le concept avant le mot correspondant, ou qu'il a eu conscience que le mot exact allait lui venir, ou enfin que le concept était là comme une masse à l'intérieur de laquelle on pouvait choisir quelque chose (318-319). "

Messer

chez Messer, c'est le jugement qui vient au premier plan. II décrit une catégorie de phénomènes : phénomènes inanalysables ou du moins inanalysés, sans contenu sensoriel ou verbal apparent, qui ne rentrent dans aucun des cadres de la classification traditionnelle les états psychiques et pour lesquels il faut même créer un nom nouveau. .Messer adopte celui d'« attitude de conscience », dont Marbe et Watt s'étaient déjà servis.

A. Burloud propose de les appeler des sentiments intellectuels. Signalés par Erdmann dans ses Umrisse zur Psychologie des Denkens (1900). Ach les a définis « des états de conscience qui ne sont donnés ni dans des sensations visuelles, auditives ou kinesthésiques, ni dans des images-souvenirs, et dont le sujet peut dire, immédiatement après leur apparition, le contenu de savoir qu'ils renfermaient »

Quelle est la structure de ces états de conscience, et quel est leur contenu ?

Il faut, selon Messer, distinguer entre le sens des mots, isolés et le sens des phrases et des propositions. Le premier peut faire corps avec le mot ou le précéder ou en être séparé.

Parfois, avant d 'avoir trouvé le terme, nous savons ce que nous vouIons dire (88); le mot qui vient ensuite n'est pas toujours celui que nous cherchions et ne rend pas tout ce qu’il y il y avait dans la pensée-. Au mot inducteur policier, un sujet réagit par ordre : « Le mot, dit-il, ne me paraissait pas bien marquer ce que j'aurais voulu dire : je voulais rendre l'allure imposante, la respectabilité des policiers allemands (177).»

Ces nuances s'éclaireront par l'étude de la compréhension des mots. Notons en passant que peuvent se lier au mot d'autres attitudes de conscience que le sens, par exemple le sentiment qu’il a deux ou plusieurs sens, un synonyme, qu'il faut le prendre généralement ou particulièrement, etc. (89-93). De même l'attitude qui précède le mot peut consister dans une simple direction de la conscience. Vers lui et se rapporter non à sa signification, mais à sa forme.

Pour ce qui est du second groupe distingué par Messer , il est permis d'affirmer que toutes les propositions, tous les rapports peuvent se. condenser dans des états de conscience sans images et sans paroles: propositions indicatives énonçant que la tâche est facile ou difficile , que tel mot s'est déjà présenté, qu'il faudrait chercher la réponse dans telle ou telle direction; propositions interrogatives par lesquelles le sujet se demande s’il ne lui viendra pas bientôt quelque chose, s'il ne va pas dire une sottise, quel est le sens d'une phrase ou le but de l'expérimentateur; propositions impératives ou optatives par lesquelles il s'intime I'ordre de réagir au plus vite, de penser à autre chose, d'accueillir ou de rejeter tel mot, telle pensée. Des réflexions très précises, des souvenirs très particuliers se glissent dans la réaction. mentale sous la forme de sentiments intellectuels; par exemple, à l'occasion d'un nom qui lui est présenté, un sujet se rappelle sans images et sans mots qu'autrefois son père le prononçait toujours d'une manière incorrecte.

l'auteur affirme que tout ce qui peut faire partie du contenu de la conscience, peut aussi nous être donné en dehors de toute image objective ou verbale l'attitude de conscience est en général l'anticipation d'un acte intellectuel et par exemple d’un jugement, et qu'elle pour contenu une relation. Mais qu'est-ce qu'une relation qui est donnée à la conscience sans ses termes, indépendamment de toute image et de toute parole intérieure ? Comment pourrons nous dire d'un état inanalysé et en apparence vide de contenu qu'il est la conscience d'une relation? Nous retombons ainsi sur la question de la structure des attitudes de conscience.

Messer est mieux inspiré lorsque, tout de suite après, il fait rentrer toutes les attitudes de conscience dans le domaine de ce que B. Erdmann appelait la pensée informulée ou intuitive. il observe avec raison qu’entre la pensée formulée et la pensée informulée, les frontières sont indécises et qu'on passe de l'une à l'autre par des degrés insensibles. Les cas limites seraient, d'un côté, une pensée complètement exprimée avec une conscience distincte du sens des mots, de l'autre, une réflexion ou une reconnaissance rapide comme l'éclair et où manquerait toute trace de représentation verbale. N'est-il pas vraisemblable, se demande l'auteur, d'admettre que la seconde est une pensée concrétée, condensée, où entrent en jeu les mêmes processus psychiques réels que dans la première, mais abrégés et télescopés ? Pour la seconde fois, apparaît la notion féconde. que nos états de conscience peuvent passer par des stades successifs et continus d'enveloppement ou de développement .Mais le propre du sentiment, n'est-ce pas justement d'être un état dont les éléments, quels qu'ils, soient, objectifs ou subjectifs, intellectuels ou affectifs, s’entre-pénètrent et sont primitivement indiscernables ? Par leur contenu, les états de conscience sans images et sans paroles, relevés par Messer, sont des relations, par leur structure, par leur caractère d'enveloppement ou de confusion, des sentiments intellectuels.

b) La compréhension des mots (71-93)

Au premier moment, le sens des mots est, comme on. l'a vu plus haut, une attitude de conscience ou, plus exactement selon nous, un sentiment intellectuel.

Les cas les plus simples sont naturellement ceux où le sens fait corps avec le mot, ou le mot est compris en même temps qu'il est lu. Cependant, même ici, le sens est un facteur variable. Il peut être donné à la conscience « avec des degrés différents d'intensité », depuis l'incompréhension à peu près complète jusqu’à la compréhension totale. Les sujets sont capables d'apprécier des degrés, ce qui ne laisse pas de surprendre un peu si l'on songe que l'intellection dont il s'agit semble vide de tout contenu, mais qui s'explique fort bien dès qu'on a reconnu que cette absence de contenu n'est qu'apparente.

D'abord, au plus bas degré, des déclarations comme celles-ci : « Je n'ai pas bien compris, mais pourtant j'ai compris »; « je n'ai pas compris clairement »; « je n'ai pas compris cela d'une façon tout a fait générale »; un sujet parle d'une «compréhension lointaine ». Puis viennent des cas où les sujets constatent qu'ils ont eu généralement après un certain arrêt sur le mot, la conscience « nette », « plus intense que d'ordinaire » qu'ils le comprenaient.

D'autres fois, entre l'apparition du mot et la compréhension, il s'écoule un intervalle de temps plus ou moins long. Il en est ainsi, par exemple, lorsque le mot est étrange ou peu familier, lu de travers, équivoque, d'une longueur inusitée, etc., ou lorsque le sujet est fatigué ou dans un état particulier d'excitation.

 

Bühler

Chez Bühler, l'intellection désigne l'un des processus les plus complexes de la pensée.

"II n'est guère de question concernant la théorie de la connaissance qui puisse donner lieu à des réponses aussi

variées que celle-ci : qu'est-ce que la pensée ? La pensée est synthèse, la pensée est analyse. Penser, c'est juger. La pensée est l'aperception. L'essence de la pensée réside dans l'abstraction. Penser, c'est mettre en rapport. La pensée est activité, elle est un processus volontaire. Mais si l'on pose la question plus spéciale du contenu des phénomènes de pensée, la réponse est tout à fait unanime : de contenu spécifique de la pensée, il n'y en a pas. Il n'y a qu'un très petit nombre de chercheurs qui refuseraient de consentir à cette proposition (297). " Ainsi débute la première étude de Bühler (l). qui est justement consacrée à reconnaître, à inventorier et à définir ce contenu spécifique de la pensée.

Dans un travail ultérieur, Bühler s'est efforcé d'établir comment les pensées s'enchaînent dans le phénomène concret de l'idéation.

Après Binet, Ach et Messer, Bühler affirme l'existence d'une pensée sans images. On pourrait, dit-il, extraire par douzaines, des procès-verbaux de ses expériences, les déclarations attestant qu'aucune trace de représentation sensible n'est intervenue dans l'idéation.

Erdmann avait montré qu'il existe une pensée inverbale. Telle l'idéation de l'enfant, lorsqu'il ne dispose encore que d'un vocabulaire restreint; telle aussi l'intuition géniale, à laquelle, au premier moment, nulle expression n'est adéquate. Il n'est pas nécessaire, du reste, de penser génialement pour se passer des mots : d'une façon générale, l'abondance et la variété de l'élocution sont les signes d'une pensée superficielle.

Ne faut-il pas voir dans ces liaisons subjectives dû pensées de simples produits de la réflexion ? « Si, par réflexion, on entend un acte spécial de rétrospection il faut, à cette question, répondre non. Les sujets n'ont nulle conscience d'un tel acte. Les liaisons subjectives de pensées leur paraissent données immédiatement avec les pensées- Cela fournit une contribution à la vieille question de savoir si l'acte peut être conscient en même temps que son contenu : des rapports entre les actes... peuvent, dans tous les cas, être conscients sans réflexion (6) ».

Conclusion quant aux travaux de l'Ecole de Wurzburg

D'abord, existe-t-il une pensée pure, c'est à dire dépouillée de tout élément sensible, vide d'images, vide de mots ? Messer et Bühler répondent catégoriquement : oui.

Les attitudes mentales, sur lesquelles Watt ne s'est guère attardé (la tâche, l'Aufgabe ne rentre dans cette catégorie de phénomènes que sous une de ses formes), sont, pour Messer, des états de conscience sans images et sans paroles, et l'on sait quel rôle elles jouent dans la compréhension et dans le jugement. Peut-être ne sontelles à ses yeux que des états instables et transitoires se trouvant au point de départ d'un développement qui aboutit à des images d'objets ou de mots. Chez Bühler, au contraire, les pensées, et parmi elles, les pensées pures, sont les parties substantives, les véritables supports de l'idéation. A elles, cette précision, cette netteté, cette consistance grâce auxquelles elles peuvent former des enchaînements solides et continus, et qui manquent le plus souvent aux images dans le travail intellectuel.

Là où les images apparaissent, dans quels rapports se trouvent-elles à l'égard des pensées ? Sans doute, certaines d'entre elles possèdent une relative indépendance, elles peuvent surgir dans l'idéation sans y être amenées par les exigences de la tâche à accomplir ou du problème à résoudre, par la seule vertu d'une tendance reproductrice.

Nous avons même vu que, dans certaines expériences de Bühler et, plus encore, de Messer et de Watt, la pensée est introduite par l'image et a en elle ses fondations. Mais ce n'est pas, tant s'en faut, la règle. Watt a montré que, pour la plupart, les images dépendent par leur nature, leur degré de vivacité et l'ordre dans lequel elles se succèdent, de la tâche ou des tâches, par conséquent des éléments logiques qui dirigent la pensée. Elles font défaut dans l'accomplissement des tâches aisées, elles ne se développent que dans la mesure et sous la forme où elles représentent le mieux une idée, et c'est pourquoi elles sont si souvent inachevées, indéterminées, de caractère symbolique. Certains sujets de Messer ont même noté avec beaucoup de finesse les phases du processus par lequel l'image se développe : c'est d'abord, on s'en souvient, une attitude de conscience, une intention parfois toute conceptuelle, puis une direction d'extériorisation, enfin l'image

Titchener, opposant sa propre expérience à celle des partisans de la pensée pure, soutient que des sensations organiques ou kinesthésiques se produisent toujours pendant le travail intellectuel, et que la conscience n'est jamais vide d'éléments sensibles. On peut penser que ces sensations sont de simples concomitants de l'acte intellectuel, non des composantes.

De ce que le contenu ou l'objet d'une pensée n'est pas actuellement conscient, il ne suit pas que cette pensée soit elle-même virtuelle, car la question est justement de savoir s'il n'existe pas une conscience du latent ou du possible comme tels. Les recherches de Messer et de

Bühler permettent de trancher cette question par l'affirmative. La compréhension implicite d'un mot est la pensée d'un contenu qui n'est pas actuellement conscient, mais ou bien simplement possible, ou bien, lorsqu'il suffit d'un petit effort pour le faire apparaître, présent à l'esprit.

L'idée qu'il existe d'autres états de conscience élémentaires que les sensations, les images et les phénomènes affectifs n'est pas nouvelle. Les « idéologues » français, Destutt de Tracy, Laromiguière, Cardaillac ont été les premiers à affirmer la spécificité des sentiments de relation. Brown et Spencer, en Angleterre, leur ont fait également une place dans leur analyse de l'esprit. Mais ces philosophes subissent trop profondément encore l'influence du sensualisme pour concevoir adéquatement leur nature et leur rôle. Ainsi, pour Destutt de Tracy, un sentiment de rapport est une sensation interne du cerveau; pour Spencer, « un de ces chocs nerveux que nous soupçonnons, dit-il, être les éléments des états de conscience ». Ajoutons que, selon ce dernier, « il n'occupe pas dans la conscience de portion appréciable. Enlevez les termes qu'il unit, et il disparaîtra avec eux, n'ayant pas de place indépendante ni d'individualité qui lui soit propre. »

W. James accorde aux relations et aux directions conscientes une individualité plus marquée : elles forment ces états de conscience spéciaux qu'il appelle des sentiments de rapport et des sentiments de tendance. Mais les sentiments de rapport sont, par opposition aux parties substantives de la pensée, des états transitifs qui « ne peuvent être saisis qu'au vol », et les sentiments de tendance des « halos mourants », des « franges ». On ne s'étonne pas trop que Titchener, critiquant la conception de James, réduise les uns et les autres à la conscience de l'accompagnement moteur d'un processus intellectuel glissant vers l'inconscient, et ne voie dans l'attitude mentale que la préparation ou la face interne d'une attitude motrice.

La distinction qu'il établit entre les liaisons pensées et les liaisons conscientes de pensées nous semble très juste. Très juste aussi la division de celles-ci en rapports subjectifs d'impressions et en rapports objectifs de contenus. Ces nuances, finement notées, sont d'un grand intérêt psychologique, parce qu'elles se rapportent à la structure même des pensées.

Nous remercions les auteurs du site suivant qui se sont spécialement et de manière beaucoup plus riche penchés sur ce thème :

http://www.es-conseil.fr/GREX/textes%20introspection/titchenerPROLEGOMENA%20TO%20A%20STUDY%20OF%20INTROSPECTION.pdf

keywords : Echantillonnage Aléatoire d’expérience descriptive ; conscience phénoménale ; penser ; pensée non verbale ; pensée sans image ; discours intérieur, expérience du vide.

[1] Hurlburt, 1990, 1993 ; Hurlburt et Heavey, 2006 ; Hurlburt et Akhter, 2006 ; Hurlburt et Schwitzgebel, 2007.

[2] Ne suffit-il pas d’être assez en retard pour se retrouver en avance sur l’enroulement hélicoïdal de la pensée collective ?

[3] On appelle image dans le langage courant : soit l'exemple concret sur lequel on raisonne ou qui sert à illustrer une théorie abstraite. (l'enseignement par l'image), soit le symbole ou la méta­phore dont on se sert pour sug­gérer certains aspects difficiles à exprimer dans le langage des concepts (A. Burloud).

[4] L'image “est la sensation elle-même, mais consécutive et ressuscitante et, à quelque point de vue qu'on la considère, on la voit coïncider avec la sensation” (De l'Intelligence, T. 1, p. 225).

[5] Essai sur les données immédiates de la conscience, p. 99 et p.75.

[6] M. Sanner (1999), considérant le débat sur la pensée réductible aux images ou la possibilité d’une pensée sans symbole, estime qu’il est dépassé et se positionne plutôt par rapport à deux types de pensée : analogique versus digital.

[7] On néglige ici la théorie kantienne des schèmes transcendantaux, sans intérêt pour notre propos.

[8] De type Bergsonien, mais non pas bergsonienne car l'auteur de Matière et Mémoire considère les concepts comme des faits secondaires et dépendants.

[9] Cf. sa très intéressante Histoire de la Connaissance chez le singe inférieur, Hermann, Paris.

[10] Nous avions commencé à nous servir de ce mot dans l'ouvrage inédit auquel nous empruntons ici quelques faits, quand nous l’avons rencontré avec un sens qui n'est pas sans affinités avec celui que nous lui donnons ici, chez M. Paul Valéry, dans: L'Idée fixe ou deux hommes au bord de la mer.

[11] Tous ceux de cet âge que nous avons observés, à plus forte raison ceux d'un âge inférieur, commettent des erreurs dans le classement des objets en vivants et en non-vivants.

[12] Cf. La Représentation du monde chez l’enfant, Paris, 1926.